La première quinzaine de février est placée sous le signe de la danse à Rennes . Avec vingt-six lieux culturels de l’agglomération pour vingt-six spectacles et pas moins de quatre-vingt rendez-vous, le festival Waterproof témoigne de la vitalité des formes chorégraphiques contemporaines, tout en faisant tomber les barrières entre la création et le public. La venue du Ballet de l’Opéra national du Rhin avec Kamuyot de Ohad Naharin, chorégraphe résident de la Bathsheva Dance Company depuis 1990, dans le cadre de la partie hors les murs de la saison de l’Opéra de Rennes, en offre l’illustration. Le choix d’un lieu comme un gymnase, dont l’usage initial n’a, a priori, guère de lien avec la pratique et la production artistiques, participe de la rupture avec les rapports traditionnels entre la salle et la scène affirmée par le dispositif répartissant les artistes au milieu du public sur des bancs formant une arène rectangulaire autour du terrain sportif. Ecrite pour quatorze solistes sur une mosaïque de bandes originales de séries ou de musiques pop, la pièce, créée en 2003 par le Young Ensemble de la Batsheva, laisse une marge d’improvisation, non seulement pour les rôles, avec une distribution qui évolue au gré des représentations, mais aussi en fonction de l’interaction avec les spectateurs.
Une énergie irrésistible et contagieuse
Le jeu avec le cadre s’exprime dès les usuelles annonces d’accueil, confiées ce jeudi soir au Gymnase Grimault, à l’accent québécois de Pierre-Emile Lemieux-Venne. Les danseurs se lèvent ensuite dans une sorte d’interpellation des uns et des autres pour converger vers le centre du plateau en un élan qui se cessera de se consolider au fil des cinquante minutes où se mêlent soli et ensembles s’appuyant sur une jubilatoire diversité grammaticale du geste. La partie visuelle, qui fait l’abstraction de toute scénographie, est réduite à des appariements vestimentaires réinterprétant quelque inspiration écossaise – kilt pour les filles et pantalons à tartan pour les garçons – qui se croisent avec les combinaisons furtives entre les interprètes. La variétés des formes ne se limite pas à la dimension plastique. Certains numéros forcent le pathétique jusqu’à l’hilarité de la caricature, à l’exemple du tourment masochiste mis en avant par l’un des talents les plus prometteurs de la danse française, Erwan Jeammot, qui se distingue par une évidente alchimie entre énergie expressive et beauté technique. Le flux chorégraphique protéiforme distille un enthousiasme qui, dans la lignée d’une conception ouverte de la scène, ne tarde pas à contaminer le public, d’abord dans des duos éphémères avec certains spectateurs, puis au moment des saluts, dans un partage festif où tout le monde est invité à se joindre aux danseurs dans cette célébration sans frontière de la créativité rythmique et de la libre pulsation de la vie. Une expérience hors-norme calibrée pour investir les territoires au-delà des murs habituels de la culture : Rennes et le festival Waterproof ne s’y sont pas trompés, le public non plus.
Par Gilles Charlassier
Kamuyot, Opéra de Rennes, hors les murs, février 2024