Si l’ouverture à de nouveaux publics, et particulièrement les jeunes, considérés comme celui de demain, constitue une préoccupation commune à toutes les grandes institutions lyriques, Opéra Junior constitue un programme à part. Initié à Montpellier en 1990 par Vladimir Kojoukharov, ce projet unique propose à des chanteurs en herbe de participer à la création d’un spectacle d’opéra dans des conditions professionnelles en travaillant avec l’ensemble des métiers qui y sont impliqués. Depuis 2009, Jérôme Pillement a pris les rênes de cette compagnie singulière qui, avec L’Etoile de Chabrier donnée à la fin du mois de mars à l’Opéra Comédie, signe son intégration dans la programmation de l’Opéra national de Montpellier. C’est à l’issue d’une des représentations que nous avons rencontré le chef d’orchestre et son enthousiasme communicatif.
On vient de voir sur scène une troupe de jeunes chanteurs. Pouvez-vous nous dire comme elle fonctionne ?
Le but du fondateur, Vladimir Kojoukharov, était de faire découvrir les métiers de l’opéra à des jeunes en les mettant immédiatement dans le bain : plutôt que de les initier progressivement à la manière de la plupart des programmes pédagogiques, il a voulu les placer d’emblée dans des conditions professionnelles pour leur faire jouer à la fin de l’année un spectacle sur scène dont il écrivait souvent la musique, étant lui-même compositeur d’opéras pour enfants.
Les chanteurs sont répartis en trois groupes selon leur âge : de 7 à 10 ans pour le Petit Opéra, de 11 à 14 ans pour la Classe Opéra, qui correspond un peu aux chœurs de maîtrise, et de 15 à 25 ans pour le Jeune Opéra, les deux dernières sections étant recrutées sur audition. Chacune donne une production par an : vous venez de voir L’Etoile avec le Jeune Opéra, la Classe jouera une création de Guilhem Rosa, Entre deux rides, en juin prochain tandis qu’en mai, le Petit Opéra se produira dans deux pièces d’Isabelle Aboulker inspirées par les Fables de La Fontaine. Par ailleurs, ils apparaissent aussi dans les concerts et productions de l’Opéra de Montpellier ainsi qu’au cours de tournées dans l’agglomération.
D’où viennent les jeunes chanteurs d’Opéra Junior ?
Le programme est désormais bien connu ici à Montpellier, et les jeunes viennent de toute la communauté urbaine, et de tous horizons. Certains ont fait le Conservatoire, et trouvent dans Opéra Junior une expérience théâtrale et scénique qui leur manque à la sortie de leurs études, d’autres approfondiront en intégrant ces parcours après être passé par Opéra Junior. On en retrouve au fil des années, qui font ainsi chez nous une sorte de « carrière ». Il n’y a pas de parcours type, ni d’ailleurs de concurrence avec les structures établies, mais plutôt des ponts et des partenariats. Comme ce ne sont pas des cursus spécialisés avec des horaires aménagés, les ateliers ont lieu le mercredi et le samedi ainsi que pendant les vacances. Seuls les jours de répétitions et de représentations prennent sur le temps de classe. C’est d’ailleurs frappant de voir la réaction des publics scolaires quand ils se rendent compte que ceux qui sont sur scène ont leur âge. Il n’y a pas meilleur exemple pour abolir le fossé imaginaire qui les sépare parfois de l’opéra.
Comment avez-vous fait évoluer Opéra Junior depuis votre arrivée à sa tête en 2009 ?
L’idée initiale était de permettre à des amateurs, sans formation préalable, l’opportunité de faire de la musique et de l’opéra et de se mêler à des professionnels. Le fondateur avait ainsi développé un important travail de mémorisation. Mais je me suis rendu compte que tout ceci était à recommencer quand on passait d’une œuvre à l’autre, ce qui prenait beaucoup de temps. Et puis c’était aussi frustrant pour les chanteurs de ne pas être autonomes vis-à-vis de la partition. C’est pourquoi j’ai lancé des ateliers de solfège afin que chacun ait les rudiments indispensables. Pour ce qui est des effectifs, on a procédé à des équilibrages pour arriver, en cette saison 2013-2014, à 75 enfants au Petit Opéra, 47 jeunes dans la Classe Opéra et 28 pour le Jeune Opéra.
Pouvez-vous nous parler de votre manière de travailler avec ces jeunes amateurs ?
Comme vous avez pu l’entendre dans L’Etoile, nous avons dû nous adapter. Au-delà de la manière différente dont l’œuvre sonne – si vous l’avez vue récemment dans une grande production, ce que nous avons fait ne peut pas s’y mesurer, et ce n’est pas son intention – c’est toute une écoute et une souplesse par rapport aux capacités des interprètes que seuls des musiciens professionnels peuvent avoir, accélérer ici ou alléger là pour qu’ils puissent suivre.
Jérôme Pillement nous montre quelques exemples dans la partition. Benoît Bénichou, le metteur en scène, vient de nous rejoindre, et confirme combien Opéra Junior constitue, au-delà de sa dimension pédagogique, une expérience de vie pour ceux qui sont passé par cette troupe amateur sans égale. Anecdotes et complicités qui se nouent au fil des semaines en témoignent, et le plaisir qui s’en dégage rafraîchit aussi notre approche du monde lyrique…
GL