Les Parisiens le savent peu mais c’est dans le quartier Saint-Sulpice, au siège de l’Association des Amis de Saint-Jacques que commence un pèlerinage à Compostelle. C’est là qu’un sénior délivre la credencial, indispensable laissez-passer pour avoir accès à un refuge sur le chemin de Compostelle. Jean-Christophe Rufin, fondateur d’Action pour la Faim, académicien et ancien ambassadeur de France au Sénégal est ainsi passé là l’an dernier, suite à ce qu’il décrit comme« une attraction mystérieuse et de plus en plus forte. » Il est alors parti, avec son sac à dos et des chaussures neuves qui très rapidement vont lui provoquer « une douleur qui résonnait dans tout (son) corps à chaque pas. » Qu’allait-il faire dans cette galère de 800 km? Trouver Dieu comme Théodore Monod qui, à plus de 90 ans, marchait encore ? Non. Même s’il explora méthodiquement sanctuaires, chapelles, chemins de croix, ermitages. Mêler mysticisme et solitude comme Alexandra David-Neel ? Vraisemblablement, plantant sa tente loin des autres, ne supportant ni l’odeur des aisselles ou des pieds, ni les ronflements ou la promiscuité.
Réenchanter le monde
D’ailleurs, au bout de quelques semaines de marche, il devient de son propre aveu un autre homme « avec un sourire niais », s’allégeant de tout son matériel au fur et à mesure et se récitant Diderot lorsqu’il fait des rencontres : « Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus proche… » Bientôt il découvrira pourquoi il est parti : « Le Chemin réenchante le monde. Libre à chacun ensuite, dans cette réalité saturée de sacré, d’enfermer sa spiritualité retrouvée dans telle religion, dans telle autre ou dans aucune. Reste que, par le détour du corps et de la privation, l’esprit perd de sa sécheresse et oublie le désespoir où l’avait plongé l’absolue domination du matériel sur le spirituel, de la science sur la croyance, de la longévité du corps sur l’éternité de l’au-delà. »
Voilà sans doute ce que tous les pèlerins vont chercher sur ce chemin et ce qui leur donne la force de marcher sans craindre l’inconfort et l’effort. Une belle leçon de vie servie par un style riche et généreux, la moindre des choses venant d’un académicien…
Par Dominique Saint Clair
Immortelle Randonnée. Compostelle malgré moi, de Jean-Christophe Rufin, aux Editions Guérin Chamonix, 262 p., 19,50 euros.