Si la Staatsoper de Vienne se fait le gardien de la tradition et du répertoire – sans exclure la création contemporaine, ainsi que l’illustre la commande d’un nouvel opéra à Olga Neuwirth, donnée en première mondiale en ce mois de décembre –, le Theater an der Wien, avec une saison moins contrainte que son vénérable voisin, se fait, depuis une quinzaine d’années, le défenseur privilégié des ouvrages oubliés ainsi que du répertoire baroque. En marge de sa programmation dans son quartier général à deux pas de Karsplatz, l’institution a noué un partenariat avec le plus intime Kammeroper dans la vieille ville, près du Graben et du Stephansdom, et dont l’entrée se trouve dans une petite ruelle adjacente au Fleischmarkt, pour présenter des productions confiées aux jeunes solistes du Junges Ensemble Theater an der Wien.
Ainsi en est-il de ce Giustino de Haendel, réglé par James Darrah, pour ces fêtes de fin d’année. Avec un sens certain de la dérision et de l’ironie, le metteur en scène a transposé l’Antiquité de cette histoire d’amours et de trahisons, selon l’usage en vigueur de l’opera seria, dans le désert californien, au milieu des années soixante-dix. Rehaussé par les lumières de Franz Tscheck, le décor de motel dessiné par Adam Rigg ne recule pas devant les couleurs vives, et se fait l’écrin d’une direction d’acteurs enlevée, complétée par des mouvements chorégraphiques qui ne le sont pas moins. La vitalité juvénile du résultat ne manque pas d’attraits, même si elle cède parfois à certaines facilités, et trahit dans le sang la conventionnelle fin heureuse du livret.
Haendel dans un motel californien
Seuls éléments du plateau à ne pas faire partir de la jeune troupe, les deux contre-ténors Meili Li et Rafael Tomkiewicz affirment une belle complémentarité dramatique dans leur rivalité, le premier dans le rôle-titre, aux accents élégiaques dans la lutte intérieure face à l’héroïsme requis par les situations, le second en Anastasio assoiffé de pouvoir. Jenna Siladie séduit par une sensibilité et une musicalité investies, restituant les contradictions d’Arianna. En Leocasta, Tatiana Kuryatnikova affirme un mezzo homogène. Si Johannes Bamberger condense un Vitaliano vindicatif à souhait, la solide basse roumaine Dumitru Madarasan convainc en Polidarte, au-delà d’un matériau encore à l’aube de sa maturation. Kristjan Johannesson fait en revanche forte impression en Amanzio tout en duplicité et en aplomb – et au galbe vocal plus constant. Mentionnons encore la fraîcheur de la Fortune campée par Ilona Revolskaya. Avec la complicité des pupitres du Bach Consort Wien, Markellos Chryssicos partage l’énergie juvénile du spectacle, et anime les couleurs et les saveurs de la partition.
Par Gilles Charlassier
Giustino, Haendel, Theater an der Wien, Vienne, décembre 2019