La concentration de rendez-vous et de forces artistiques au moment d’un festival est souvent propice à des projets qui ne pourraient voir le jour en d’autres circonstances. Ainsi en est-il du programme que Léo Warynski et Les Métaboles proposent pour leur deuxième année de résidence à la Cité de la Voix de et aux Rencontres Musicales de Vézelay, avec les forces de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.
Après une chaude journée de fin d’été, la Basilique est plongée dans des éclairages tamisées, favorable à l’intensité musicale. La soirée s’ouvre sur une page de jeunesse de Brahms, le Begräbnisgesang opus 13, pour choeur et instruments à vents. Sur un poème de Weisse, théologien allemand de l’époque de la Réforme luthérienne, utilisé entre autres par Bach pour sa Passion selon Saint-Jean, la déploration funèbre décline des accents évoquant parfois le Requiem allemand, écrit dix ans plus tard. La vigueur presque minérale des pupitres des Métaboles met en valeur un recueillement décanté. Cet équilibre entre une puissance emplissant la nef et une économie expressive se retrouve dans la Messe n°2 en mi mineur de Bruckner. Egalement pour choeur et instruments à vents, la partition juxtapose deux modes d’écriture liturgique, entre les stases du Kyrie et la dynamique plus cursive du Gloria et du Credo, où les versets s’enchaînent à la manière des messes brèves, comme celles de Haydn. La maîtrise dans le contraste de caractères s’affirme tout au long d’un office qui retrouve, avec le Santus, le Benedictus et l’Agnus Dei, un évident instinct de la peinture de l’émotion religieuse.
Une fresque oecuménique
Après l’entracte et un Pater Noster extatique de Stravinski, la Symphonie de Psaumes donne au concert un tournant oecuménique, qui enjambe le clivage traditionnel entre profane et sacré. Dans cette œuvre en trois mouvements, le compositeur russe calque trois psaumes sur le canevas d’une forme instrumentale. La tension qui affleure dans le court Exaudi orationem meam liminaire est canalisée avec un sens de l’architecture dramatique auquel on reconnaît le geste de Léo Warynski, et prépare efficacement un second mouvement fugué, aux allures d’hommage à Bach dont les couleurs modales sont sculptées par l’ensemble du plateau. Le Laudate Dominum conclusif est portée par une saisissante énergie où les détails se fondent, sans se confondre, dans une irrésistible ascension. En poslude de cette magnificence aux limites des dimensions de la Basilique Sainte-Marie-Madeleine, Léo Warynski livre une curiosité, un Libera me a capella de Ignaz von Seyfried paraphrasant le Requiem de Mozart, présenté comme un avant-goût du troisième programme de la résidence des Métaboles à Vézelay l’été prochain.
En marge de ce grand rendez-vous du soir, l’Eglise Saint-Germain d’Auxerre à Vault-de-Lugny, célèbre pour ses fresques de la Passion du Christ, accueille, l’après-midi, l’ensemble Irini, dans une évocation des échanges, autour du Concile de Florence de 1439, entre les Eglises d’Orient et d’Occident, séparées depuis le Grand Schisme de 1054. Le dialogue savant entre les polyphonies de Dufay et celles de la liturgie byzantine, à quelques années de la chute de Constantinople, est défendue avec une évidente conviction, qui réjouira les amateurs des résurrections documentaires. Le festival 2024 se refermait, dans la Basilique de Vézelay, par une brillante célébration des vingt ans de Vox Luminis avec un cantate de Bach et Missa Paschalis de Zelenka.
Par Gilles Charlassier
Rencontres Musicales de Vézelay, concerts du 24 août 2024.