Les toiles de Yue Minjun laissent perplexes. Les personnages hilares de l’artiste chinois ne sont pas aussi transparents que les vitres du musée « pour l’art contemporain » qui les accueille. Malheureusement, le prospectus qu’offre la charmante asiatique à l’entrée ne suffira pas à expliquer l’œuvre iconoclaste. Pour cette première exposition européenne, mieux vaut interroger les gardiens déambulant aux trois étages. Ils vous guideront dans ce story-board complexe, qui en entrant, laisse le spectateur perdu.
Masque impénétrable
Nul ne manquera l’obsession du peintre. Visages figés, bouche béantes et yeux fermés, le rire est sur toutes les faces. « Le fait de sourire, de rire pour cacher son impuissance a [une grande] importance pour ma génération » confie ce héraut du « réalisme cynique », qui commence à peindre à Pékin au début des années 90. Le grotesque pour dénoncer… sous ces têtes qui au fur et à mesure de votre visite, se ressembleront toujours plus, se cache le regard ironique et désenchanté de l’artiste.
A mi chemin entre un Mario Bros du pinceau et un acteur de la Comedia dell’ Arte, ce normalien de la province de Hebei offre à travers ses tableaux des miroirs pour que chacun s’y reconnaisse. Et pas que la Chine. A coup de caricatures, de codes théâtraux, Yue Minjun montre l’absurdité du conformisme. Devant ces personnages qui se répètent, il faut lire le rejet de l’uniformité, l’asphyxie de l’individu par la société. Des airs de Big-Brother version yeux bridés…« On se croirait dans une bande-dessinée avec toutes ces couleurs et ces traits figés. C’est toujours le même bonhomme», s’étonnent les visiteurs. Surtout au sous-sol, quand Yue Minjun en slip, se retrouve dans sa toile à la mer avec les dinosaures puis parachutés en enfer.
Jouer avec les peintres occidentaux
Yue Minjun est joueur. Il joue avec les souvenirs des spectateurs, comme pour le tableau d’Edouard Manet de 1868, La Mort de l’Empereur Maximilien ou La Liberté guidant le peuple, de Delacroix Yue Minun brouille les pistes et se met en scène, histoire de recycler à sa façon, les grands chefs-d’œuvre.
Libre à vous de trouver ses œuvres « dérangeantes » et « oppressantes », comme beaucoup. Mais en République Populaire de Chine, cet artiste, reconnu de ses pairs, commence à être une autre valeur sûre à l’image de son homologue pékinois, Ai Weiwei à l’affiche actuellement d’un excellent documentaire sur son statut d’artiste rebelle, ce qui est loin d’être le cas de Yue Minjun. La Fondation Cartier ne s’y est pas trompée…
Par Elodie Terrassin
Yue Minjun ; L’ombre du fou rire à la Fondation Cartier jusqu’au 17 mars 2013