Tradition établie depuis longtemps, la fin de saison du Metropolitan Opera se fait sous le signe de la danse, en devenant, pour un peu plus d’un mois et demi, le quartier général de l’American Ballet Theater, lequel a célébré en 2015 son soixante-quinzième anniversaire. Artiste associé à la compagnie nord-américaine, et que les parisiens ont pu apprécier Palais Garnier dans Psyché par exemple, Alexeï Ratmansky propose pas moins de quatre programmes, formant ainsi un mini-festival dans cette saison de printemps.
Alexeï Ratmansky à l’honneur
Outre un gala et une soirée mêlant une création sur une musique de Bernstein à l’Oiseau de feu et Sept Sonates, le chorégraphe met la Russie à l’honneur, avec le Coq d’Or, inspiré par le spectacle réglé par Michel Fokine pour les Ballets Russes avant la Première Guerre Mondiale, et une trilogie Chostakovitch – où chacune des pièces reprend le titre de la partition qui la supporte. L’empreinte de Balanchine et Robbins se fait sensible dans la Symphonie n°9, entre symbolisme et abstraction formelle dans le jeu des couleurs et des ensembles, distribuant un camaïeu de couleurs dominantes au fil des quatre mouvements, soutenu par une gestuelle fluide et énergique. Sur fond de visages tourmentés à la Egon Schiele, la Symphonie de Chambre – sur la transcription pour orchestre du Huitième Quatuor – s’attacherait à esquisser un auto-portait chorégraphique du compositeur. Quant au Concerto pour piano n°1, son évidente virtuosité referme avec éclat la soirée, où la technique se conjugue à une élégante souplesse.
Une Belle au bois dormant classique
Si on ne saurait le réduire au pastiche ou à l’exercice, le style de Ratmansky assume la tradition, et sa relecture de La Belle au bois dormant de Marius Petipa en témoigne, et que l’Opéra de Paris accueillera pour l’étape française de sa tournée à la rentrée. Reprenant les décors et costumes de Léon Bakst, Richard Hudson privilégie le conte de fée – dorures chatoyantes des parures royales et paysages de pastel, le tout rehaussé de quelques touches Disney, pour le plus grand bonheur du divertissement. La séquence des fées s’achève par l’arrivée tempétueuse de Carabosse, où Craig Salstein se montre haut en couleurs et en maléfices, aux limites – pardonnables – de l’histrion, contrastant avec la bienveillance réservée de la fée Lilas de Christine Shevchenko. On ne manquera pas l’exotisme relatif des quatre prétendants, au relief plus prononcé peut-être que la suite des pierres précieuses au dernier acte. Roman Zhurbin et Alexandra Basmagy se glissent dans l’étoffe du couple royal, essentiellement de parade, quand Keith Roberts accuse la maladresse du chambellan. Entre noblesse et pâleur juvénile, Alexandre Hammoudi se fait, en Prince Désiré, l’écrin de la princesse Aurore, campée avec soin par Hee Seo.
L’aura de Roberto Bolle
C’est d’ailleurs la même soliste que l’on retrouve aux côtés de Roberto Bolle, dans le Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan – sur la musique de Prokofiev. Très classique, sinon cinématographique, le spectacle se concentre sur les protagonistes principaux – en laissant d’ailleurs une appréciable latitude aux interprètes – dans une scénographie classique de Nicholas Georgiadis imitant les marbres Renaissance, pour mieux suggérer la Vérone du drame de Shakespeare. De fait, les ensembles s’avèrent souvent peu inventifs, voire statiques, en comparaison de la vie perceptible dans la peinture psychologique des personnages. Par sa grâce élancée, Roberto Bolle détaille la fraîcheur amoureuse de Roméo, jusque dans la retenue et la timidité, et se révèle attentif à la complémentarité avec sa partenaire. Toujours au service du sentiment et de la sincérité, la longueur du geste ne verse jamais dans la démonstration athlétique. Si le Paris de Thomas Forster se maintient en retrait, Patrick Ogle condense la violence de Tybalt. Jeffrey Cirio affirme un Mercutio d’une virtuose vitalité, tandis que l’on retiendra l’aérien Benvolio incarné par l’éblouissant Calvin Royal III, davantage que la bigoterie un rien caricaturale de Clinton Luckett en Frère Laurent. Mentionnons enfin la direction musicale d’Ormsby Wilkins, qui, à rebours de pratiques parfois à l’oeuvre dans les fosses hexagonales, ne méprise pas la soirée de ballet.
Par Gilles Charlassier
Trilogie Chostakovitch, Roméo et Juliette, La Belle au bois dormant, American Ballet Theater, New York, mai-juin 2016