Même perturbée par les inquiétudes des intermittents, la fin de saison, rime, comme chaque année depuis plusieurs décennies, avec l’ouverture du bal des festivals estivaux. Avant le sable de bord de Seine et les incontournables travaux qui compliquent la vie de l’usager des chemins de fer autant que du bitume, Paris ouvre le bal. Si les jardins et les bois aux extrémités de la capitale sont généreusement mis à contribution, c’est d’abord un détour par le Théâtre des Bouffes du Nord que propose le Palazetto Bru Zane, le Centre de musique française à Venise, pour la seconde édition d’un rendez-vous consacré aux oubliés du répertoire romantique français, vocation qu’il assume avec enthousiasme depuis bientôt une décennie, et qui se referme cette année sur Le Saphir, opéra de Félicien David présenté en version de concert.
Raretés françaises aux Bouffes du Nord
Mais ce point d’orgue ne saurait faire oublier la généreuse part réservée aux œuvres instrumentales, à l’instar de la soirée du lundi 16 juin, placée sous le signe exclusif du violoncelle. Passé à la postérité avec ses opéras-bouffe, Offenbach était un violoncelliste virtuose, ainsi qu’en témoignent brillamment Xavier Phillips et Hermine Horiot avec un Duo en la mineur, avant de découvrir Fernand de La Tombelle et Max d’Ollone, dans deux pages en trio. Violoncelles en ensemble s’affiche ensuite au grand complet en seconde partie, où François Salque et Roland Pidoux offrent le fruit de leurs arrangements, à l’instar de l’aérienne Danse des elfes de David Popper, l’air de Philippe II dans le Don Carlos de Verdi, « Elle ne m’aime pas », ou encore, les Variations sur une seule corde sur un thème de Rossini, que Paganini avait imaginées après avoir craqué successivement les cordes de son violon, sauf une, au cours d’un récital. Avec un humour irrésistible, la transcription laisse à chacun des musiciens une tribune à sa sensibilité, véritable feu d’artifice pour conclure la soirée.
Auvers-sur-Oise polyglotte
L’appel du vert conduit ensuite à Auvers-sur-Oise, célébré par les impressionnistes et connu pour être le lieu d’inhumation de Vincent van Gogh et son frère Théo, où l’opus 34 d’un des premiers festivals d’Ile de France donnait, en soirée de clôture, un récital d’Anne-Sofie von Otter. Polyglotte et francophile, la mezzo suédoise prend la parole pour résumer les mélodies danoises et suédoises qu’elle s’apprête à faire découvrir, anticipant une prévisible méconnaissance des langues scandinaves dans le public francilien. Au tournant des dix-neuvième et vingtième siècles, Peterson-Bergen, Stenhammar, Alfvén, ont écrit des pages aux couleurs empreintes d’un romantisme tour à tour intime, feutré, parfois joyeux, mais avec une touche de réserve que l’on imagine instinctivement dans cette inspiration nordique, également sensible chez Sibelius, finlandais certes, mais dont la première langue était le suédois – le pays n’a retrouvé son indépendance qu’en 1917. Soutenue par son accompagnateur attitré, Bengt Forsberg, Anne-Sofie von Otter distille avec un naturel admirable ces univers en miniature, à la fois proches et lointains.
Changement de décor après l’entracte, et retour vers les contrées françaises, que la soliste cisèle de sa une diction impeccable, à faire rougir maints interprètes hexagonaux. Les deux mélodies de Fauré en témoignent, tandis que l’arrangement d’Après un rêve par Pablo Casals pour violoncelle et piano fait vibrer les cordes sensibles de Steven Isserlis qui y déploie le chant chaleureux et intime de la partition. On retrouve le duo dans un délicat Nocturne de Franchomme, presque contemporain de Chopin, qui tente de se mesurer à Mélancolie, œuvre de la fin de vie du compositeur franco-polonais, d’une économie émouvante. La transcription par Liszt de la Mort d’Isolde fait résonner la robustesse du Yamaha de Bengt Forsberg, et enivre l’auditoire de la densité marine de ses flots de notes – là réside le génie de Liszt qui réussit à faire revivre la richesse orchestrale et vocale grâce aux seules ressources du clavier – avant deux Wesendonck Lieder de Wagner, dont les thèmes se retrouvent dans l’opéra Tristan et Isolde. Avec un instinct artistique infaillible, Anne-Sofie von Otter termine la soirée avec des chansons des Beatles, qui ont bercé sa jeunesse. Adaptés pour leur trio, les trois solistes en révèlent une richesse d’invention que l’on n’imaginerait pas toujours dans de telles pages populaires. D’un répertoire à l’autre, la mezzo suédoise passe, sans jamais commettre de faute de goût, preuve de son inaltérable intelligence. Les murs d’Auvers lui en sont reconnaissants.
Gilles Charlassier
Festival Bru Zane, 15 au 19 juin 2014
Festival d’Auvers-sur-Oise, 5 juin au 2 juillet 2014