L’aura légendaire de Vienne ne se limite pas à la musique, même si l’art des notes prend une place de premier choix sur les cartes postales de la capitale autrichienne. Son offre culturelle compte aussi parmi les plus beaux musées d’Europe, avec une stimulante programmation en cette fin d’année. Le parcours commence avec l’un des rendez-vous incontournables des amateurs de beaux-arts, le Kunsthistorisches Museum. Au-delà de sa très riche collection de peinture, héritée, comme celle du Prado à Madrid, du goût avisé des Habsbourg, l’institution propose, en cette fin d’automne, avec le Rijkmuseum d’Amsterdam, une plongée dans la Rome du dix-septième siècle avec une confrontation entre Caravage et Bernin. Si l’accrochage, avec un fonds estimable, réparti de manière thématique au fil des cinq salles, permet des ponts entre peinture et sculpture, il frustre par la relative banalité comparative d’une compilation sans éclairage précis.
A quelques pas du Ring, derrière la Staatsoper, l’Albertina propose régulièrement des expositions de premier plan, même si le visiteur ne saurait manquer la collection Batliner, avec un condensé de la peinture du vingtième siècle qui rivalise avec les plus grands creusets de l’art moderne. Mais c’est évidemment la rétrospective Dürer qui retiendra d’abord l’attention. Sans prétendre à l’exhaustivité, elle s’appuie sur le riche fonds graphique de la maison, et suit la carrière de l’artiste allemand, avec une habile mise en perspective des esquisses, nombreux dessins et – relativement plus rares – toiles. L’ensemble conjugue rigueur et qualités narratives.
Dürer à l’Albertina et Gerst au Museumsquartier
Le touriste ne manquera pas un autre monument majeur du panorama artistique viennois, le Belvédère, dessiné par Hildebrandt au dix-huitième siècle. Alors que le jardin est en hibernation, le Belvédère inférieur invite à un parcours autour des matériaux par lequel des artistes contemporains revisitent l’histoire de l’art, tandis qu’une autre salle réunit des sculptures religieuses en bois depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’au baroque. Mais l’essentiel se situe au Belvédère supérieur, le palais principal, avec son escalier monumental, et surtout la grande Salle de Marbre, où a été signé en 1955 le Traité d’Etat Autrichien, par lequel le pays recouvrait son indépendance après la seconde guerre mondiale, tandis que la Galerie d’art autrichien rassemble, dans un accrochage aéré qui contraste, de manière bienvenue, avec certaines habitudes de murs surchargés, quelques uns des chefs d’oeuvres des dix-neuvième et vingtième siècles, avec, entre autres, le mythique Baiser de Klimt. Au rez-de-chaussée, l’histoire de l’édifice est retracée, maquettes à l’appui.
Retour dans le cœur de la ville, avec le complexe du Museumsquartier, installé dans les anciennes écuries impériales. Dans sa carcasse noire à l’apparence austère, le Mumok, le musée d’art moderne, abrite une belle collection, déployée selon de fécondes affinités thématiques, quand d’autres installations permettent de se plonger dans plusieurs courants artistiques des cent dernières années. Quant au musée Leopold, l’immersion dans l’art de la fin du tournant du siècle où Vienne a bâtit l’une de ses légendes, avec le Jugenstil, le style Sécession et la psychanalyse, se fait dans un intinéraire chronologique et didactique qui fait se répondre les différentes formes de la création. Au niveau inférieur, l’essentiel de la production de Richard Gerstl permet d’apprécier la palette à la fois lumineuse et tourmentée de ce peintre expressionniste dont la vie se trouve, tragiquement, à la croisée des arts : amant de l’épouse de Schönberg, il se suicidera lors le compositeur découvre l’adultère. Aujourd’hui encore, Vienne reste un carrefour de l’Europe et des arts.
Par Gilles Charlassier
Kunsthistorisches Museum, Museumsquartier, Albertina, Belvédère, Vienne – décembre 2019