Avec la nouvelle production d’Eugène Onéguine confiée à Stéphane Braunschweig, le Théâtre des Champs Elysées propose une lecture décantée de l’opéra de Tchaïkovski. Rehaussée par les lumières de Marion Hewlett, la scénographie se résume à un espace tapi d’un gazon et délimité par une blancheur quasi clinique. Le surgissement d’une alcôve pendant les séquences d’introspection, à l’exemple de la scène de la lettre, souligne les parenthèses intimistes, en même temps qu’elles permettent de vérifier le bon fonctionnement des vérins élévateurs du plateau. Les costumes dessinés par Thibault Vancraenenbroeck ne jurent pas avec l’atemporalité du spectacle, et les mouvements chorégraphiques réglés par Marion Lévy participent du calibrage expressif, sans risque d’emphase slave, de la lecture un rien aseptisée du directeur de l’Odéon.
Ce tropisme se retrouve en partie dans l’interprétation musicale. Dans le rôle-titre, Jean-Sébastien Bou privilégie la déclamation, non sans une certaine raideur qui condense la maladresse, sinon la déréliction, affective du personnage. La Tatiana de Gelena Gaskarova exprime un lyrisme équilibré qui, sans avoir peut-être l’aura des plus grandes tenantes du rôle, n’en fait pas moins ressortir l’essentiel des sentiments, avec une certaine élégance. En Lenski, Jean-François Borras fait palpiter le cœur du poète, avec une impulsivité sans doute plus méridionale que slave. Le ténor monégasque donne le meilleur de lui-même dans des adieux du deuxième acte plus proche de l’idiome de la partition. Jean Teitgen impose un Grémine à la noble carrure, qui, s’il n’a pas la générosité chantante des basses patriarches et aristocratiques, possède sans peine la solidité des graves requise.
Une lecture polie et élégante
Les caractères de second plan ne sont nullement négligés. Alisa Kolosova séduit avec une Olga à la ligne ronde et souriante. Mireille Delunsch assume, sans caricature dans la couleur vocale, la bienveillance maternelle de Madame Larina, laquelle partage cette idiosyncrasie avec la Filippievna de Delphine Haidan. Les apparitions du capitaine et de Zaretski sont dévolues à un Yuri Kissin robuste. Quant aux couplets de Monsieur Triquet, Marcel Beekman en fait ressortir la flatterie festive avec une émission claire propice à la caractérisation attendue du personnage. Préparé par Salvatore Caputo, le Choeur de l’Opéra national de Bordeaux participe efficacement à la restitution du tableau collectif du deuxième acte, ainsi qu’à la rumeur commentatrice au troisième chez le Prince Grémine.
A la tête de l’Orchestre national de France, Karina Canellakis souligne le dessin mélodique avec une netteté et une plénitude qui va jusque dans les moindres détails, ciselés avec une sensibilité évidente. Si l’oreille peut se réjouir d’entendre la phalange française à un tel niveau d’opulence et de beauté plastique, on perd un peu de la spontanéité de la fragilité des émotions sur laquelle Tchaïkovski comptait pour un ouvrage qu’il dédiait à de jeunes solistes.
Par Gilles Charlassier
Eugène Onéguine, Tchaïkovski, Théâtre des Champs Elysées, novembre 2021.