Si l’équilibre était une pièce, il serait assurément La Mouette version Benedetti. Exercice bien difficile que celui de mettre des mots sur l’émotion à l’issue de la représentation, tant la puissance de l’onde de choc ébranle et bouleverse. Créateur du Théâtre-Studio d’Alfortville, Christian Benedetti signe ici sans doute l’une des plus remarquables adaptations du chef d’œuvre de Tchekhov. « Il faut des formes nouvelles ». Konstantin, fruit des fêlures de son temps, écrit une pièce pour celle qu’il aime, Nina, mais le jeune homme ne se reconnait pas dans les formes artistiques de son époque. Nina, quand à elle, rêve de gloire et de grandes scènes, elle s’amourache de Boris, écrivain à succès et amant d’Irina, grande actrice et mère de Konstantin pour qui le texte de son fils n’est qu’un « délire décadent ». Seul Dorn, le médecin, perçoit la contemporanéité du texte de Konstantin. Et puis il y a Macha, qui se refuse de tricher avec la vie et avec son mari Medvénenko, l’émouvant Sorine, la passionnée Paulina épouse de Chamraiev mais amoureuse de Dorn. Dix personnages autour desquels se mêlent passions, conflits et illusions.
L’art d’être spectateur
On a pourtant vu maintes adaptations de cette pièce mais rarement d’une telle intensité, d’une telle incroyable justesse. Les comédiens ne jouent pas, ils sont vrais, dans le moment présent, ne faisant qu’un avec leur personnage, lesquels s’effacent pour laisser place à des caractères, des structures mentales. Rien de trop dans cette mise en scène sobre et épurée, tout y est juste et précis, les déplacements orchestrés avec finesse et exactitude. Florence Janas interprète à merveille Nina, avec cette idée qu’ aucun rôle n’est ici négligé. Les silences parlent et de beaux tableaux se fabriquent -époustouflant Xavier Legrand dans ses instants de poignant désespoir. Les acteurs sont ainsi tous charismatiques et talentueux -la plupart sortent du Conservatoire National d’Art Supérieur avec des voix puissantes et maitrisées (mention spéciale à Jean-Pierre Moulin-doublage habituel de Jack Nicholson et d’Anthony Hopkins).
L’espace théâtral est ici totalement réinventé, la manière de regarder change grâce à des éclairages astucieux ; on assiste ainsi non pas à une pièce mais à une plongée en plein cœur de la campagne russe. « Vous devez savoir pourquoi vous écrivez ». La Mouette questionne la place et les formes de l’art, l’acte de création, mais également la place du spectateur, forcément impliqué . Une pièce proche de la perfection, à voir absolument…
Par Laura Baudier
La Mouette, jusqu’au 1er décembre-Théâtre Studio d’Alfortville-En alternance avec Oncle Vania du lundi au vendredi à 20h30/intégrale les samedis 24 novembre et 1er décembre