Dès les premières images du générique, la musique, l’utilisation du noir et blanc puis cette silhouette si familière, attendant son métro au Japon- ce pays « qui par son manque » a fait d’elle Amélie Nothomb- la collection Empreinte montre une fois encore que mieux qu’aucune autre, elle excelle dans l’art du portrait. L’écrivain raconte alors, à la première personne « sa vie entre deux eaux » partagée entre son enfance et son adolescence de nomade, déménageant tous les trois ans d’où son angoisse, et la chose seule stable dans sa vie qui s’est alors imposée à elle – « le langage ».
La voilà, encyclopédie « humaine » qui se souvient de ses lecteurs et répondant aux 20 à 40 lettres par jour dans son bureau chez Albin Michel, puis de retour chez « elle », non pas à Tokyo mais dans la banlieue de Kobé au milieu des jardins, des lacs et de magnifiques paysages. Une enfance « au coeur de la beauté et de l’adoration », avec Nishio-San cette nounou « sa mère japonaise », qu’elle ira grâce à ce documentaire, sous le regard pudique de la caméra et après tant d’années passées loin d’elle, serrer dans ses bras; revoir sa maison d’enfance, détruite dans le tremblement de terre, et marcher sur ces terres devenues fantômes il y a plus d’un an. Ce pays auquel on l’arracha à 5 ans, terre où elle fut tout d’abord une enfant apathique et placide avec « deux années de grossesse extra utérine en plus ». Elle se souvient aussi comme elle eut peur à l’école, de retour dans cette classe, 40 ans plus tard, avec comme preuve tangible de sa présence, une photo. Devoir obéir, l’uniforme, tout cela elle détesta.
L’écriture pour exister
Puis il y eu la Chine, à la la fin du règne de Mao où tout le monde était en danger, surtout s’il adressait la parole à un occidental dans la rue. Le danger qui s’invite encore et toujours lorsqu’elle fut victime se baignant en maillot de bain des mains invisibles de musulmans au Bangladesh. Elle a douze ans et ne retournera jamais dans la mer. « Lorsque j’écris, l’ennemi intérieur trouve à parler » dit-elle. Cet ennemi qui habita son corps, anorexique à 13 ans, jusqu’à ce que « son âme s’en aille manger », et qu’elle parvienne elle et son corps à les réconcilier, même s’il est resté un problème à l’image de tous ses personnages, souvent obèses, inspirés par les sumos- « lutteurs inquiétants ».
Elle a 17 ans lorsqu’elle se met à écrire, de retour en Belgique où elle porte le nom d’une famille classée comme » réac » et donc exclue. Le Japon sera donc sa patrie à vie, même lorsqu’il fut si dur avec elle comme elle le racontera dans Stupeur et Tremblement où elle fut réellement dame pipi sept mois durant, « s’envolant mentalement par la fenêtre » de son bureau, pour tenir, et se levant à quatre heures du matin pour écrire. Ce qu’elle fait toujours depuis, avec un rituel précis: boire un demi litre de thé très fort a jeun, « comme une purification » et une excitation de toutes ses cellules. De là est sorti à 23 ans, Hygiène de l’assassin, son premier livre écrit en trois mois qui lui procura un sentiment total et inédit « d’aboutissement « . Albin Michel ne s’y trompa pas, le lecteur non plus avec 500 000 exemplaires vendus tandis que de tristes sires lancèrent une cabale, persuadés que ce ne pouvait être une jeune fille qui avait écrit cela. Vingt et un livres plus tard, en suivant cette femme, en l’écoutant, le doute n’est pourtant pas permis. Amélie est extra-ordinaire et c’est avec une grâce bien « japonaise »que Luca Chiari et Laureline Amanieux sont parvenues à montrer cela.
LM
Empreintes/Amélie Nothomb diffusé le vendredi 12 octobre à 21h30