Avec le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen contre un poste de Premier ministre, et le fait rappelons-le que plus d’un français sur deux n’a voté pour ces deux finalistes, s’ il n’y prend pas garde, Emmanuel Macron pourrait bien être l’ultime victime de la vague de dégagisme qui déferle sur la France depuis l’automne dernier. Après avoir éjecté les partis traditionnels de droite et de gauche au premier tour, il existe un risque non négligeable que les Français se décident à envoyer paître le représentant d’un système – même s’il s’en défend – à bout de souffle. Et choisissent de croire que les problèmes de la France viennent de l’étranger comme le claironne la candidate du FN, au demeurant excellente au JT de France 2 hier soir, et non de l’intérieur comme l’affirme Macron, ce que les chiffres de l’OCDE pourtant confirment: nous sommes le pays qui accueille le moins d’immigrés pour le chômage le plus élevé.
Marine prend l’avantage
Ainsi, si Marine Le Pen peut ne pas gagner, Emmanuel Macron pourrait perdre. En se trompant de message, en se trompant de ton, en se trompant de campagne. Le principe élémentaire d’une élection repose sur le fait que vous devez faire adhérer une majorité des électeurs à l’idée que vous représentez un risque politique moindre que votre adversaire. En un mot, pour gagner il faut savoir, subtilement ou non, faire passer son adversaire pour plus dangereux que soi. A ce jeu là, Marine Le Pen semble très douée. La première semaine de campagne d’entre-deux tours a mis en lumière combien la patronne du FN – sans doute soulagée d’avoir validé son billet pour le round final et psychanalyse de comptoir d’avoir fait aussi bien que papa – semble s’être libérée d’un poids et attaque tout azimut en prenant de front sans sourcilier son adversaire, sa personnalité, ses propositions et le front républicain qui l’entoure. Elle se pose comme celle qui va démasquer Emmanuel Macron. Elle se pose, en politicienne expérimentée qu’elle est, en femme d’Etat, capable et rassurante, presque maternelle, face au danger Macron, au flou Macron, à l’imposture Macron. Elle parle d’un référendum entre la France et la mondialisation. Un référendum entre la sécurité et le risque. Un référendum entre le sérieux et l’aventure. Pas gênée aux entournures, pas gênée d’être ainsi à front renversé, elle se pose comme la candidate dont il ne faudrait pas avoir peur au contraire d’Emmanuel Macron dont la carrière et le programme font de lui un grand méchant loup assoiffé de réussite personnelle et de gloire, prêt à vendre la France à tous ses amis au détriment des Français. La ficelle est énorme, ridicule et grossière mais pourtant elle rencontre un écho. Elle rencontre un écho parce que dans le camp d’en face la riposte est longue à venir, laborieuse et mal construite.
Emmanuel à la peine
Emmanuel Macron a mis du temps à réagir, à trouver ses marques. Sans doute a-t-il cru dimanche soir que tout était joué, que les ralliements seraient automatiques et que tranquillement il pouvait déjà préparer son gouvernement et les élections législatives. Et puis, petit caillou dans sa chaussure, obligé de sortir de son rêve éveillé, Emmanuel Macron s’est rendu compte que non tout n’allait pas de soi. Alors comme au réveil avec une gueule de bois et une première grossière erreur en allant festoyer dans une brasserie chic parisienne, il a été sommé de reprendre le combat. Et comme dans ces moments là nos idées sont souvent peu claires et nos actes peu habiles, il a choisi une bien mauvaise option tactique. Au lieu de se poser en rassembleur, en homme de compromis, en homme conscient que son futur score de second tour ne signifierait pas adhésion, il a choisi de cliver, d’attaquer et de culpabiliser. Il a sorti l’artillerie lourde au lieu de rassurer. Se posant en rempart des valeurs républicaines il a fustigé « les somnambules du 21ème siècle » et a stigmatisé ceux qui s’interrogent encore. Lors de son meeting à Arras, il a célébré ses terres picardes, rappelant combien elles avaient souffert de toutes les guerres et de toutes les folles et mortifères aventures humaines. Il aurait pu s’en tenir là et célébrer l’unité française, la concorde, le sentiment commun. Au contraire, il n’a pas eu de mots suffisamment durs pour désigner ceux qui s’interrogent encore. L’oukase a remplacé la pensée et la nécessité de convaincre a été remplacée par l’obligation d’un choix : moi ou le chaos. Il a choisi de faire référence à ceux qui préfèrent détourner les yeux, à ceux qui feignent d’ignorer les dangers du monde. Comme en 1938, ceux qui ont applaudi Munich, se rassurant face au péril brun. Comme en 1940, ceux qui ont choisi Pétain et le silence, se rassurant et choisissant de ne pas voir la collaboration. Tous dans le même panier les dubitatifs mélenchonistes, les réfractaires fillonistes et les futurs abstentionnistes. Il a choisi de les culpabiliser au lieu d’accueillir leurs doutes. Il a choisi de les exclure, de les enfermer dans une caricature au lieu d’écouter leurs doléances, leurs craintes, leurs appréhensions.
Les Français n’ont pas besoin d’un tuteur
Cette attitude, à la fois maladroite et péremptoire, peut lui jouer des tours s’il ne rectifie pas le tir. Certes la marge est large et il serait incroyable que Marine Le Pen comble un retard – selon les derniers sondages – de vingt points. Mais tout de même, il ne faudrait pas qu’il s’installe dans un rôle de moralisateur qui risque d’exaspérer les électeurs qui ne lui sont pas déjà acquis. Les électeurs ne veulent pas qu’on leur fasse la leçon. Ils veulent être considérés comme un peuple responsable et adulte. Poser des questions, demander des gages, demander des éclaircissements n’est en aucune façon un caprice ou une chicanerie d’enfants babillards. Au contraire, Emmanuel Macron devrait avoir à cœur d’exposer encore plus son programme et de l’exposer en priorité à ceux qui n’ont pas voté pour lui au premier tour. Ce serait ainsi de sa part une marque de confiance envers le peuple français et aussi une attitude de transparence et de clarté. Il aurait ainsi le mérite de vouloir convaincre et il démontrerait qu’il ne se satisfait pas d’un vote par défaut. Il doit réagir et changer de méthode parce qu’en face la cavalerie est lancée et comme elle n’a rien à perdre, Marine Le Pen chevauche à toute allure et se s’embarrassera sans doute pas de considérations morales ou éthiques. La responsabilité d’Emmanuel Macron est historique. Il est désormais seul pour empêcher le Front National d’accéder aux responsabilités nationales. Il doit nous convaincre et non pas nous juger. Il doit nous offrir un espace de réflexion et non pas nous restreindre. Il doit nous rendre libre de le questionner et non pas nous ôter notre libre arbitre. En un mot, pour ne pas perdre il doit nous faire confiance.