« Il faut qu’il se cache plus pour la flèche, attention aux descentes d’escaliers, rester dans la tour jusqu’à la fin… » À quelques minutes de la première d’Egisto à l’Opéra Comique de Paris, le metteur en scène Benjamin Lazar donne ses dernières recommandations. L’improvisation est l’ennemi de la mise en scène. Surtout quand les personnages sont des fous.
Car, Egisto, c’est avant tout une histoire de dingues, de « cavalier fou » comme aux échecs avec ce personnage qui, tel un cavalier visite toutes les cases une seule fois puis revient au point de départ !
C’est à l’Opéra Comique à Paris que le chef d’orchestre Vincent Dumestre et son complice le metteur en scène Benjamin Lazar font revivre « cette pastorale acide et violente ». Une fable musicale mettant en scène deux couples dont les Dieux capricieux éprouvent la fidélité amoureuse. Pièges, rapts, menaces et illusions…du songe au délire. Tout est bon pour faire perdre la raison au plus célèbre d’entre eux : Egisto, un fou perdu par l’amour.
Une machine à voyager dans le passé
Pour mettre en lumière l’égarement amoureux, Benjamin Lazar a choisi d’y apporter un éclairage bien personnel et désormais devenu classique depuis 2004 avec la comédie ballet, « le Bourgeois gentilhomme » : la bougie. Au moins deux cents par représentation. « Le recours à la bougie permet à l’acteur de jouer de la lumière, d’être partie prenante dans l’éclairage du spectacle » souligne ce prince du baroque, à l’origine avec ce retour aux sources d’une petite révolution au point que l’on parle aujourd’hui de la bougie du tandem Dumestre-Lazar comme celle de Stanley Kubrick dans « Barry Lindon ».
Cette lumière permet surtout le déploiement de l’instabilité qui affecte le jugement des protagonistes. Elle dévoile autant qu’elle cache. C’est au spectateur de reconstruire ce qui se passe entre ombres et lumières.
C’est la force de Cavalli, ce génie populaire que de donner à son public toutes les clés pour interpréter ce qu’il voit. Egisto rencontra un vif succès immédiat en Italie. C’est l’âge d’or de l’opéra vénitien. Un autre facteur d’explication : à l’époque, pour la première fois le public bourgeois paye sa place. Adieu les salles et cours de palais. L’opéra se démocratise et devient une industrie du spectacle.
Moins complexe dans sa manière de s’exprimer que Monteverdi, cette génération de compositeurs doit plaire et divertir immédiatement. Les mélodies et les airs ont des lignes nettes qui se répètent. Les personnages n’ont pas d’arrière-pensées. L’humour de Cavalli est accessible à tout le monde. On passe de la tragédie à la scène de ménage en un rien de temps. Certains personnages sont proches de la commedia dell’arte. Les Dieux se prennent pour des hommes et vice-versa. « C’est le propre des œuvres réussies, quand c’est tragique on peut quand même rire » souligne Benjamin Lazar.
Ce jaillissement de la folie qu’a tant aimé le public de l’époque a bien voyagé. Cavalli à la manière d’un Foucault donne un sens à la parole des fous. En parlant d’Egisto, son amante Cloris se lamente : « Hélas la folie lui fait dire la vérité ».
La création de ce spécialiste du baroque a le mérite de renvoyer le spectateur face à l’éternelle inconstance de la folie d’amour. Échec et mat !
Par Renaud Lefort
Egisto , jusqu’au 9 février, à l’Opéra-Comique, sous la direction de Vincent Dumestre, dans une mise en scène de Benjamin Lazar.