Je l’ai cherché longtemps cet Eddy Bellegueule. « En réimpression » m’a dit le premier libraire.
« Evidemment – a maugréé le second – s’il fait toutes les émissions de télé, son bouquin va partir comme des petits pains… »
Je l’ai repéré chez le troisième libraire qui m’a vendu le dernier en me laissant interloquée : « P.O.L. n’en a pas voulu… »
L’exergue empruntée à Marguerite Duras « Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas. » nous renvoie aux Taiseux de Jean-Louis Ezine « Je ne me suis pas toujours appelé du nom que je porte, et c’est comme si j’avais vécu une autre fois. »
Nous voilà prévenus, c’est à une recherche d’identité à laquelle nous allons assister. Si Eddy naît bien de sexe masculin, très vite, « ses manières », sa voix haut perchée, son manque d’intérêt pour le foot, feront de lui, dans ce Nord de la France pauvre, une « pédale, un pédé, une tantouse, un enculé, une tarlouze, une tapette, une fiotte, une tafiole, une grosse tante. .. » Son père ne le supporte pas et demande à sa mère « C’est un mec oui ou merde ?… Bordel de merde. » Eddy imaginait « des éducateurs qui m’auraient battu chaque fois que j’aurais laissé mon corps céder à ses dispositions féminines. »
De son enfance, aucun souvenir heureux. La pauvreté, l’alcool, les coups, les insultes, la promiscuité, le rejet de l’école, le sexe sans amour, et la télé omniprésente. Pour un peu, on aurait l’impression de lire « Les petits enfants du siècle » de Christiane Rochefort à quarante ans de distance.
Il y a de l’Annie Ernaux dans cet Eddy Bellegueule et sa façon de juger mère et père, froidement, avec dégoût « elle gardera cette habitude de toujours laisser la porte des toilettes ouverte quand elle fera ses besoins, habitude qui plus tard me révulsera. » – « L’impudeur de mon père. Il disait aimer être nu et je le lui reprochais. Son corps m’inspirait une profonde répulsion. »
On ne fuit pas impunément la classe pauvre pour celle des « bourgeois ». C’est le prix à payer. C’est la quête de toute une vie de romancière d’Annie Ernaux. Ça semble être celle d’Eddy Bellegueule devenu Edouard LOUIS, maintenant qu’il est à Normale Sup. et qu’il a pour meilleur ami, Charles-Henri.
Je comprends mieux maintenant pourquoi les exemplaires de ce premier roman partent « comme des petits pains ». On aime voir réussir un jeune qui était pourtant prédestiné pour être déscolarisé dès l’âge de seize ans, s’il ne s’était trouvé sur sa route une proviseure, une madame Coquet qui l’a fait travailler et quitter sa famille. Condition sine qua non pour réussir lorsqu’on vient au monde chez les Thénardier.
Quant à Paul Otchakovsky-Laurens, s’il n’en a pas voulu de ce premier roman, peut-être est-ce parce que le style d’Edouard LOUIS laisse quelquefois à désirer. Ne lit-on pas à la page 202 « je me rappelle de la peur que j’ai ressentie… » ? C’est sagement écrit. Sans poésie. Sans grande pensée profonde. C’est une belle histoire qui se lit très facilement, d’un trait, depuis « De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux » jusqu’à :
« Quelqu’un arrive,
Tristan .
Il m’interpelle
Alors Eddy, toujours aussi pédé ?
Les autres rient.
Moi aussi. »