“Panem et circenses” : du pain et des jeux ! L’expression lancée sous l’Antiquité romaine -résumant en deux mots ce que désirait le peuple de Rome- semble plus que jamais d’actualité. Se divertir, voilà ce que le public d’aujourd’hui veut, histoire d’oublier devant sa télévision- la crise, les plans d’austérités et la condition humaine. Venue tout droit des Etats Unis avec le « Daily show » émission racoleuse baignant dans les rires enregistrés, «l’ infotainment »a gagné nos petits écrans- contraction de « information » et « entertainment », à traduire par « divertissement » . Décors aux couleurs criardes, montage hyper rapide, blagues en rafale, saillies verbales, il faut accrocher le spectateur comme au cirque, chacun faisant son tour de piste, avec des numéros de « claquette » plus ou moins assumés. Ainsi en est-il du «Le Grand Journal » de Canal+ ou « On n’est pas couché sur France 2 » avec une course à l’audimat assumée. Et les mêmes dangers qu’aux jeux romains pour celui qui rate sa prestation.
La recette ? Éviter aux spectateurs « les tunnels » comme on appelle dans la profession journalistique l’invité qui parle trop longtemps de ce pour quoi il a pourtant été invité! L’homme politique est à ce titre un exemple frappant, de quoi vous plomber n’importe quelle émission comme le confirme la disparition des émissions politiques classiques. Maintenant, si le ton chez Canal Plus est assumé, que ce soit avec la Nouvelle Edition ou le Grand Journal, il est inquiétant de voir comment des chaines comme France 5 sont en train de suivre le mouvement. Un exemple, Les Maternelles. Pédagogique, l’émission est devenue depuis l’arrivée de Daphné Burki-ex Canal plus- l’occasion de sketches et pantalonades quotidiennes avec argument ultime, des records d’audiences à la clé. Les enfants eux, ont gagné le privilège d’être désormais partie intégrante du décor car comprenez bien, il faut que cela bouge! Comme en cuisine où pour « C’est à Vous », on réalise des plats en direct puis l’on dîne, histoire de créer le spectacle, la parole n’étant plus suffisante. C’est là en effet toute la dérive: on consomme de l’image sans plus rien écouter. Ni retenir. L’interview de Lana del Rey dans le Grand journal était à ce titre édifiant; deux, trois questions et hop, un magicien qui débarque sur le plateau, avec la belle semblant se demander ce que diable , elle était venue faire dans cette galère. Maintenant vu les questions genre « Vous faites toujours du baby sitting? », on y perdait pas grand chose…
Amuseurs ou journalistes?
Aux traditionnels voeux du Président de la République, un journaliste du « Petit Journal » est venu saluer le Président. Signe des temps et confirmation que l’on doit désormais compter sur l’émission « poil à gratter » de Yann Barthès, pur produit Canal plus, qui a, par ailleurs, eu les honneurs de faire la couverture et être interviewé dans le Monde Magazine, une consécration. Pourtant, ses journalistes, rompus à regarder dans une direction toujours opposée aux « embedded » des autres rédactions pourraient se voir refuser le renouvellement de leur carte de presse, comme l’explique Eric Marquis, président de la commission de la carte de presse. «En tant que membre du SNJ (Syndicat National des journalistes) je suis assez réservé sur le mélange des genres, assez réticent au concept « d’infotainment »». Ainsi de préciser que «Les auteurs des Guignols, par exemple, n’ont pas de carte de presse»– de quoi soulever une interrogation : délivrer une information de façon amusante, suivie par 1,7 millions de spectateurs, ne participe-t’elle pas à un même travail journalistique? Yann Barthès lui en est certain, expliquant effectuer le même travail que ces pairs de LCI ou France TV. “Nous ne volons rien. Aucune image. Nous sommes accrédités comme les autres médias, et placés aux mêmes endroits, mais nous ne voyons pas les mêmes choses”. Celui qui demande à ses invités s’ils préfèrent le « Président, avec ou sans lycra », assure simplement « offrir un contenu différent ». L’avenir en décidera. Ou plutôt la commission de la carte de presse. Au final, elle devra trancher sur la définition à donner du journalisme de demain. En attendant, il sera important de réfléchir à savoir si c’est la demande qui doit décider de l’offre et si le public a toujours raison.