L’architecture est désormais à la mode dans le domaine lyrique, et l’Opéra Oslo inauguré en 2008 en constitue un des plus brillants exemples, devenu en quelques années une des cartes postales les plus courues de la capitale norvégienne. Mais Copenhague, sa voisine, n’est pas en reste : dans une ligne de perspective reliant les rives opposées du port, en face de l’Amalienborg, palais plus privé et délicat que le massif Christiansborg, s’élève depuis 2004 un remarquable compromis entre avant-garde et finesse des lignes dont l’illumination scintille comme un repère dans la nuit danoise.
En ce début septembre, la foule mélomane s’y presse pour l’ouverture de la saison lyrique, et la reprise de l’élégant Rosenkavalier de Richard Strauss réglé par Marco Arturo Marelli. Réfléchi par un miroir au-dessus, le trompe-l’œil qui tapisse le plateau évoque les apprêts de la noblesse, qui, au premier acte, s’évanouissent dans un bleu mélancolique à mesure que se précise le renoncement de la Maréchale à son jeune amant et à l’insouciance des premiers âges de l’amour. La présentation de la rose, scène clef de l’ouvrage, fait l’économie de l’incontournable escalier : l’illusion d’optique le pallie presque. Sans renoncer à une direction d’acteurs, on a avant tout affaire à un travail de décorateur, plus habile à illustrer qu’à émouvoir. La veine comique ne manque pas, mais se montre plus présente qu’inventive et l’imitation de la Vienne populaire dans l’accent de Mariandel – Octavian travesti – au troisième acte pour berner la lubricité du baron Ochs n’a guère de relief dans la caractérisation soignée et un peu pâle d’Elisabeth Jansson.
Strauss entre trompe-l’œil et mélancolie
Les solistes ne déméritent pas cependant. Ann Petersen livre une Maréchale sensible à son propre déclin même si elle n’a pas la sensualité généreuse des grandes incarnations du rôle. Anke Briegel affirme la jeunesse et la fraîcheur de Sophie von Faninal, à la limite de ses moyens vocaux parfois, tandis que son père expose son autorité naturelle avec Morten Frank Larsen. Wolfgang Bankl épargne à Ochs la caricature de sa vulgarité libidineuse et la galerie de personnages secondaires alimente des ensembles animés. Attentif aux couleurs de l’orchestre et des situations, Michael Boder dirige de manière convaincante cette improbable synthèse entre Mozart et Wagner, sans verser dans l’excès de kitsch qu’elle appellerait facilement. Le public salue le métier certain du directeur musical de la maison – quelques ovations un peu empressées. Avec une Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch par Peter Kontwitschny, Lulu de Berg ou Les Vêpres Siciliennes de Verdi par Stefan Herheim, l’Opéra de Copenhague met les grands noms de la mise en scène à l’affiche et n’a pas à pâlir à côté des plus célèbres institutions d’Europe.
GL
Le Chevalier à la rose, Opéra de Copenhague, jusqu’au 26 octobre et du 18 au 24 janvier 2015