Des sons sortent de partout, des lumières, des flammes. André Wilms, grand comédien que l’on peut toujours voir dans le très beau film Le Havre est en scène, se parlant à lui-même ou à un oiseau empaillé, plongé dans sa propre réflexion qui ne s’arrête jamais. Le Théâtre des Bouffes du Nord offre un voyage sonore et visuel dans le monde mystique de Max Black, un philosophe anglo-américain. Un jeu sur les mots, un jeu sur les sons, où tous les sens sont requis. Il expérimente le feu tel Prométhée, puis prend son café et réfléchit à la manière dont un incendie se propage. La salle s’enflamme sans qu’il ne s’en rende compte. Il allume puis éteint sans arrêt un disjoncteur, mettant en lumière la scène comme bon lui semble. On passe d’une époque à une autre. Tout ceci est rythmé par une musique électronique produite par Heiner Goebbels, inventeur du concept très sophistiqué du théâtre musical. Son laboratoire ressemble à un espace de jeu pour scientifique, au sol un parquet clair, carré, une grille de lasers verts. Au dessus, une série d’aquariums rectangulaires sont suspendus, où reposent des animaux empaillés ou baignant dans du formol. Le Théâtre lui-même ajoute une atmosphère vieillie et poussiéreuse au décor de la pièce, matérialisant l’antre du savant Frankenstein. Tout s’enchaîne dans une cohérence surprenante. On ne voit que du feu.
Enchantement visuel
Mais qui était Max Black ? Né en 1909 à Bakou, mort à Ithaca aux États-Unis en 1988, il travaillait sur les mathématiques, l’art et le langage. Il était aussi un passionné de violon et du piano. C’est dans ses pensées que l’on navigue durant le spectacle. Des chiffres récités comme un poème, des textes extirpés de grands esprits comme Ludwig Wittgenstein, Paul Valéry et lui-même. Notre philosophe, en chemise blanche, cravate noire et lunettes, se met à jouer avec les objets de son bureau couverts d’outils, du violon avec le frottement d’un archet sur un disque 78 tours à la verticale accroché au pieu d’une machine factice. Il exécute mille et une tâches et provoque mille et uns effets qui se répètent et disparaissent comme par enchantement. Tous les gestes effectués sur scène ont une traduction sonore, grâce à un traitement électronique en direct. Puis derrière un rideau de tulle métallique, il part jouer du piano, qui continue à jouer tout seul. L’espace-temps est confus, nous aussi. Max Black se change au fur et à mesure, une image du temps qui s’écoule dans le voyage qu’il nous fait parcourir. Il faut suivre le lapin blanc comme dans Alice au pays des merveilles. Vous vous réveillerez comme par enchantement. Le temps s’était arrêté.
Par Sylvain Gosset
Max Black, au Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 19 février