Purcell chez Disney, voilà ce que l’Opéra de Rouen proposait en mai dernier dans cette production de Didon et Enée que l’Opéra de Versailles importe sur sa royale scène pendant ce week-end. Les amours de la reine de Carthage et du héros troyen prennent ainsi place dans un antre de sirènes et montres marins baignée dans des bleus qui ont dû couler Virgile chez Yves Klein, pour une histoire de mer et de mort. La maléfique magicienne de Marc Mauillon remue ainsi avec gourmandise ses tentacules au diapason du sort cruel jeté sur les amants. Sans honte, cette lecture au premier degré souligne les interventions fantastiques de divinités jalouses du bonheur des hommes, favorisant la mythologie et le merveilleux plus que le cadrage psychologique.
Mais les intentions d’originalité de Cécile Roussat et Julien Lubek, réalisant à quatre mains mise en scène, décors, costumes et scénographie, investissent surtout les intermèdes acrobatiques qui ponctuent l’action. Réservés aux séquences orchestrales, ils ne pénalisent nullement l’action, et forme un contrepoint plutôt dynamique à ces pages généreusement ornées par Vincent Dumestre et le Poème Harmonique, du moins du point de vue de la durée. Dommage cependant que les chutes de pas sur la scène manquent parfois de maîtrise et de retenue, perturbant la mise en valeur de la musique.
Didon en pleine mer
Sans doute le vibrato houleux de Vivica Génaux dont la plastique et le timbre androgyne ont fait le succès de la brune américaine originaire d’Alaska, se trouve-t-il ici on ne peut plus en adéquation. Sa Didon affirme cependant une incontestable présence aux côtés de laquelle l’Enée d’Henk Neven peut faire un peu pâle figure. On retiendra aussi Ana Quintans, Belinda aussi charmante que touchante de sa voix belle et sûre déjà repérée chez Charpentier à l’Opéra Comique dans David et Jonathas. Et comment ne pas succomber aux sortilèges du Poème Harmonique, passé maître dans l’interprétation de la musique du dix-septième siècle, soutenu par la Haute-Normandie et avec lequel l’Opéra de Rouen entretient un étroit partenariat depuis plusieurs années. C’est dans l’écrin d’Ange Jacques Gabriel que les parisiens pourront s’en délecter, avec une acoustique de bois, de bleus et d’ors qui magnifiera sans doute encore les saveurs du Didon et Enée de Purcell, délicate et noble autant qu’émouvante. Ça vaut bien une petite visite au Roi Soleil…
GC
Didon et Enée, à l’Opéra de Versailles les 14 et 15 juin 2014