Créé en 2022, le festival Sonomundo se veut, le temps d’un week-end en fin novembre, une fenêtre cosmopolite sur la création musicale, en renforçant le dialogue fécond entre la France et l’Amérique latine. Après une première édition à la Cité internationale des arts autour de Fernando Valcarcel, compositeur et chef d’orchestre issu d’une lignée qui compte parmi les grandes figures de la vie musicale péruvienne – Teodoro Valcarcel, et Edgar Valcarcel, lequel a étudié avec l’avant-garde européenne d’après-guerre, et dont la musique combine sérialisme et écriture aléatoire –, la deuxième s’ouvre dans un lieu porteur d’une grande mémoire musicale, la Bibliothèque La Grange-Fleuret, avec le troisième volet d’Oblique – fresque transdisciplinaire initiée en 2017 par Vincent Trollet et Vahram Zaryan – mûrie pendant une résidence à Royaumont, creuset de recherche qui les accompagne depuis plusieurs années. Conçu comme une forme hybride croisent les notes et le geste dans un nouveau vocabulaire commun, le cycle déplace les résonances du répertoire traditionnel au-delà du pittoresque, dans un écho avec l’expérimentation contemporaine.
Alors que le deuxième numéro, créé à Pau, avec des choeurs amateurs du Béarn, tirait partie des ressources du patrimoine régional, le troisième, intitulé Arbres, puise dans celui de l’Arménie, terre natale de l’artiste protéiforme Vahram Zaryan, dont l’art se nourrit du mime, de la danse et du théâtre. Si, arrangés par Vincent Trollet, deux pages de Komitas, figure tutélaire de la musique arménienne qui est revenu aux sources de la liturgie et a transcrit un immense corpus de mélodies populaires – un peu à la manière de Brahms ou Dvorak avec les danses de l’Empire austro-hongrois –, et un poème de Sayat Nova, troubadour du XVIIIème siècle, jalonnent le programme, c’est sur un chant a cappella en langue imaginaire de son cru que le performeur fait son entrée avec l’autorité de sa tessiture de basse, à la manière d’un ministre androgyne de quelque mystère immémorial.
Oblique III, une création qui enjambe les frontières
Sous des éclairages tamisés, l’attention et le temps se suspendent dans une atmosphère intimiste tissé des mots de Frédéric Parcheminier, dont l’un des textes, Arbres obliques, déclamé jusqu’aux confins de l’hallucination par Vahram Zaryan, donne son titre au spectacle, et qui a inspiré deux pièces à Vincent Trollet, Replis et Etang, cette dernière étant donné en création mondiale pour Sonomundo. Les voix des deux sopranos plongent aussi dans deux relectures du compositeur français, Lullaby, inspirée par Irving Berlin, et Silence, nourrie des ambivalences de Maeterlinck, ainsi que dans les sonorités italiennes – Ondes fébriles, autre création de Vincent Trollet, sur une berceuse italienne, et Che si puo fare de Farnaz Modarresifar, laquelle fait par ailleurs chatoyer les cordes pincées de son santur avec les vagabondages chromatiques de Jean-Etienne Sotty à l’accordéon, et ceux de Jacques Comby, au-delà des académismes du piano. Ces alchimies de timbres qui dépassent les clivages d’époques et des géographies condensent ainsi une traversée imaginaire où les différences se réinventent en un langage commun inédit. Les explorations de Sonomundo réunissent les mondes : Oblique III, qui y est donné dans une mise en espace adaptée, sera repris dans sa version scénique le 16 janvier prochain à Pau.
Par Gilles Charlassier
Oblique III, festival Sonomundo, le 23 novembre 2023, et à Pau, le 16 janvier 2024