C’est dans la Sainte-Chapelle du Château de Vincennes, lieu historique de la détention (au XVème siècle, le donjon servait de prison d’Etat et jusqu’en 1784 il y abritait des prisonnières politiques) que l’incontournable Bettina Rheims expose son dernier travail sur les portraits d’une centaine de femmes actuellement détenues dans quatre différentes prisons françaises qu’elle a visitées. Réalisées de septembre à novembre 2014, dans les centres de détention de Rennes, Poitiers Vivonne et Roanne et dans la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, elle a voulu à travers cette exposition leur redonner une identité, dans ces lieux où le ne se regarde plus, « où l’on se délite ». Au fil des clichés, le visiteur a comme un sentiment étrange d’être ailleurs, c’est à dire partout sauf dans une prison. Maquillées, apprêtées, comme si elles allaient sortir pour aller travailler ou dîner en ville, chacun de ces portraits de femmes expriment une personnalité forte, sensuelle ou stricte, l’air rêveur ou déterminé; des visages purs ou durs, des regards blessés car malmené par la vie ou au contraire presque agressif. Pourtant, on les sent toutes comme intimement liées-serait-ce leur condition ? On ne peut alors s’empêcher de s’interroger sur le pourquoi de leur situation. Mais, la photographe a choisi de ne rien dire de leur peine et la raison de celle-ci.
Opacité et uniformité
Cette exposition questionne à la fois l’opacité de la détention et son uniformité. L’opacité car la prison reste cachée, mystérieuse; elle fait peur, on ne veut pas voir. Avec ces portraits, ces femmes existent pour la première fois pleinement et ouvertement. La photographie créée la rencontre et offre un face à face entre des personnes d’univers différents. Elle créé le lien, suscite la curiosité, l’intérêt, l’attention à l’autre pour nous rendre finalement plus humains. Par ailleurs, si la prison cherche à effacer l’individu, ici chacune des détenues exprime haut et fort dans son portrait ce qu’elle est, avec toute sa personnalité. L’amorce d’une dignité retrouvée.
Ainsi, ces photographies interrogent-elles notre rapport à la détention et au regard que nous portons sur le sujet, telle une fenêtre de conversation avec cet univers si méconnu. « Ces femmes ont pu par la photographie s’engager dans une démarche de reconstruction de leur identité féminine et amorcer peut être un travail de restauration de leur image » commente la photographe Bettina Rheims, avec l’idée « qu’en prison, une femme n’est plus regardée et ne se regarde plus ».
L’exposition est accompagnée d’un avant propos de Robert Badinter dont voici un extrait: » Par son talent, chacune de ces détenues retrouve son individualité dans un monde où l’uniformité prévaut. La dignité que tout être humain porte en lui- en elle- l’objectif de Bettina Rheims nous la restitue sous nos yeux étonnés ».
Il faut saluer ici également l’administration pénitentiaire qui a apporté son soutien à ce projet. Une exposition qui permet d’aller à la rencontre de détenues qui sont des femmes avant tout.
Par Karine S. Bouvatier
Détenues, par Bettina Rheims à la Sainte-Chapelle du Château de Vincennes, jusq’au 30 avril 2018
Un ouvrage Détenues est également publié chez Gallimard avec un avant-propos de Robert Badinter et un texte de l’historienne de l’art Nadeuje Laneyrue-Dagen