C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleurs confitures… Et pour Noël, la jeune orpheline créée par Perrault accompagne cette année encore sapins et bûches avec quatre versions pour quatre visions bien différentes. La première, c’est Walt Disney revisité, « les petites souries en moins », comme dirait ma fille. La seconde est freudienne en diable grâce au génial Joël Pommerat, la troisième, lyrique version opéra-bouffe et la dernière, sur pointes, offre une relecture hollywoodienne imaginée par Noureev. Quatre spectacles aux genres bien différents avec une comédie musicale, une pièce de théâtre, un opéra et un ballet pour des lieux qui le sont tout autant : le Théâtre Mogador, les Ateliers Berthier et l’Opéra Garnier et Bastille. Et des publics qui, mis à part la jeunesse des spectateurs, sont assurément bien peu semblables.
Lutte des classes
Les affiches ne mentent pas ; Cendrillon au Théâtre Mogador, c’est Barbie et Ken. Et du coup, une salle remplie par les comités d’entreprise avec obligation pour vous de prévoir de quoi acheter les produits dérivés au risque de voir votre enfant pleurer devant les cadeaux et bonbons distribués devant eux. Sur scène, les comédiens font leur maximum – avec succès à en croire les visages des enfants – pour raconter cette histoire traitée ici sur le modèle « lutte des classes ». Les domestiques sont en effet mis en avant et plus que complices, victimes eux aussi de cette horrible marâtre et de ses deux modèles ratés. Cendrillon est belle, a de belles robes, son prince est beau, a de beaux uniformes et ils finissent en s’embrassant façon baiser hollywoodien pour la plus grande joie des enfants qui, il faut bien le dire, en ont vu d’autres…
La Cendrillon de Joël Pommerat n’a elle, rien d’un conte de fée classique. D’ailleurs, les Ateliers Berthier sont un lieu hors-normes, le long des Maréchaux qui sous la direction du Théâtre de l’Odéon proposent des créations originales, Olivier Py oblige…
Au fond de la scène, la mère de la très jeune fille, merveilleuse Deborah Rouach au timbre de voix d’une ressemblance frappante avec celui d’ Audrey Tautou, se meurt. De sa voix inaudible, elle dit adieu à sa fille qui lui promet de ne pas « la laisser mourir en vrai ». Et s’équipe d’une énorme montre réveil qui sonne sans arrêt pour qu’elle n’oublie pas de penser à elle. Le père est faible, son veuvage l’entraîne vers une femme plus bête que méchante qui a, avant tout, peur de vieillir. « C’est moche, ça me correspond ». Dans son deuil, la très jeune fille devient une victime consentante, se fait appeler « Cendrier », rongée par la culpabilité. Mais bientôt une fée déjantée sort d’une armoire, fumant clope sur clope. Âgée de 864 ans, elle trouve que décidément les 200 premières années de sa vie furent les plus marrantes et ne se souvient plus très bien comment faire ses tours.
Le prince, lui a aussi perdu sa mère, mais personne ne lui a dit. Chaque soir, il attend son appel et n’apprendra sa mort que grâce à cette drôle de fille qui lui dit « qu’il a de belles chaussures, surtout celle là ». De leurs deuils mis en commun débutera leur amitié, avec au passage des scènes hilarantes de la nouvelle femme de son père qui croît être l’heureuse élue. Quant à ses deux filles, elles sont irrésistibles, offrant une drôlerie mêlée à de la poésie à l’état brut pour vous offrir cet état d’apesanteur propre aux meilleurs spectacles.
À l’honneur à l’ Opéra de Paris
Nicolas Joël doit aimer « Cendrillon » ; il en a mis deux à l’affiche de l’Opéra de Paris pour cette fin d’année. L’actuel directeur de l’Opéra de Paris, a ainsi fait venir de Munich la production de cette « Cenerentola » de Rossini. Le bel canto est ici à la fête dans ce vaudeville brillant, conduit avec efficacité par le chef Bruno Campanella. Angelina, touchante Karine Deshayes et Ramiro, plein de chien avec Javier Camarena évoluent sur la scène de l’Opéra Garnier dans les décors grandioses de la demeure en ruine de Don Magnifico ou le château de Don Ramiro.
De quoi apprécier tout le savoir faire de l’Opéra de Paris qui reprend pour déjà une centième représentation, la « Cendrillon » vue par Noureev qui en signa l’adaptation, la chorégraphie et la mise en scène en 1986 pour l’Opéra de Paris. À l’arrivée, un semblant de comédie musicale sur la musique de Prokofiev. Au premier tableau, le père est alcoolique et dans un coin, trône une statue de la liberté qui annonce la débauche de décors et costumes de cette superproduction un peu difficile à suivre, mais dansée à la perfection par Agnès Letestu et Stéphane Bullion- éblouissant. Pin-up à la Tex Avery, chaussures à claquettes, hommage rendu à Groucho Marx, King Kong et Métropolis, c’est un inventaire à la Prévert que l’on découvre sur fond de décors ambitieux avec par ailleurs un pas de deux exécuté par deux hommes et une Cendrillon qui délaisse volontiers ses pointes pour des chaussures à paillettes. Un spectacle en tous cas grandiose où comme l’on dit « vous en aurez pour votre argent ». Quant à l’émotion, c’est autre chose…
Par Laetitia Monsacré
« Cendrillon », spectacle musical au Théâtre Mogador jusqu’au 31 décembre
« Cendrillon », aux Ateliers Berthier- Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 25 décembre
« La Cenerentola », de Rossini au Palais Garnier jusqu’au 17 décembre
« Cendrillon », de Noureev à l’Opéra Bastille jusqu’au 31 décembre
La Cerentola et les très beaux décors de Jean-Pierre Ponnelle
Cendrillon aux Ateliers Berthier
Avec un concours de dessin de princesses à la clé…