L’élan apporté au New York Philharmonic par Jaap van Sweden depuis qu’il en a pris la direction en 2018 se traduit tant dans l’élargissement du répertoire que dans l’invitation de baguettes nouvelles, à l’exemple du programme dirigé par Hannu Lintu en novembre. Pour ses débuts à la tête du plus ancien orchestre américain, Nathalie Stutzmann, cheffe invitée du Philadelphia Orchestra depuis 2021 et, cette saison, directrice musicale de celui d’Atlanta, fait respirer le renouvellement de la palette de la première phalange symphonique de Big Apple. En incipit d’un programme équilibré entre deux grands classiques et une partition moins jouée, l’Ouverture de Tannhauser de Wagner, opéra dont la cheffe française avait donné à Monte-Carlo la version traduite pour l’Opéra de Paris en 1861, fait valoir d’emblée la souplesse de la baguette. L’approche vivante des textures n’hésite pas à tuiler discrètement les phrasés, et alterne avec un authentique instinct expressif les élans passionnés, portés par des cuivres à la fois clairs et robustes, avec des épisodes descriptifs et suggestifs, à l’exemple du sfumato des gazouillis de cordes évoquant les nimbes de la sensualité. Sans renoncer à l’éclat dramatique, cette lecture ne néglige pas une certaine fraîcheur de son humanité intense. Composée dans les dernières années de la vie de Prokofiev, la Sinfonia concertante opus 125 démontre une virtuosité qui va crescendo au fil des trois mouvements, depuis l’Andante augural, nourri d’un sentiment que fait rayonner Alisa Weilerstein, jusqu’à l’étourdissant Allegretto finale, emmené par un archet alerte auquel répond la solidarité du soutien orchestral, en passant par un Allegro giusto et un interlude Andante con moto qui confirment une maîtrise des couleurs et des rythmes de Prokofiev.
Après l’entracte, la Symphonie n°9 dite du Nouveau Monde de Dvorak, compte parmi les légendes du New York Philharmonic, qui l’a créé en 1893 lors de la tournée américaine du compositeur tchèque. Sans s’affranchir entièrement de toute tradition par des prétentions iconoclastes, Nathalie Stutzmann réussit à libérer la partition de la patine qui parfois la fige. Dès l’Adagio introductif et l’Allegro molto contrasté qui suit, elle accorde une attention subtile et mobile à l’individualisation des épisodes, sans jamais disperser pour autant l’architecture de la symphonie. Le Largo, avec sa fameuse mélodie aux allures de chant populaire, distille une ambiance pastorale nuancée avec beaucoup de sensibilité. Prenant appui sur des cordes puissantes mais non massives, le Scherzo propulse une énergie conduisant à un finale que font rayonner des cuivres lumineux et dénués de lourdeur. Si elle ne dévoile pas de facettes inouïes, cette interprétation de la Neuvième de Dvorak, redonne une vitalité et une fraîcheur bienvenues à ce totem, comme à l’ensemble du concert.
Du Lincoln Center à Carnegie Hall
A quelques blocs du Lincoln Center et du David Geffen Hall avec son auditorium rénové et son acoustique enfin favorable, Carnegie Hall propose, avec ses trois salles, une programmation variée. Devant un peu plus de 250 sièges, le Weill Recital Hall est l’écrin idéal pour la musique de chambre. La veille des premiers pas de Nathalie Stutzmann avec le New York Philharmonic, l’Ensemble Connect, soutenu également par la Julliard School et le service éducatif de la ville de New York, mêle pages romantiques et contemporaines. La soirée s’ouvre sur une mosaïque de Jennifer Higdon, Dark Wood, avec un quatuor avec basson élargissant le trio avec piano traditionnel. En une douzaine de minutes s’enchaînent des variations emportés par un indéniable pulsation qui synthétise les diverses explorations de la modernité dans un langage plaisant et accessible. Après le Quintette pour piano et vents de Mozart et un entracte, on retrouve ces qualités dans la commande passée à Michi Wiancko, 7 Kinships. Ces miniatures pour flûte, clarinette, basson et cor déclinent les combinaisons avec une virtuosité qui n’oublie pas le sourire, en une complicité que ne manque pas de goûter le public. Le Quintette avec piano opus 44 de Schumann referme le concert sur un format plus traditionnel, défendu avec une vigueur qui ne perdrait rien à des attaques un peu moins monolithiques, sans altérer la veine romantique de l’ouvrage. Cet appréciable pont entre hier et aujourd’hui dément la ghettoïsation de la musique contemporaine.
Par Gilles Charlassier
Ensemble Connect, Carnegie Hall, 21 février 2023 ; New York Philharmonic, 22 février 2023