C’est l’histoire de Damien et les siens, Amine, son fils, Leîla, sa femme. Avec un monstre entre eux, la bipolarité. Ce plus/moins qui fait osciller les êtres ultrasensibles entre surexcitation et dépression, laissant l’entourage ravagé ou heureux-selon. La camera de Joachim Lafosse s’attarde sans doute un peu trop sur plusieurs scènes dans Les Intranquilles, mais Amine, cet enfant, c’est son histoire, le réalisateur ayant eu lui-même un père bipolaire ou maniaco-dépressif comme on appelait autrefois cette maladie. Ainsi une table peut-elle lui paraitre d’un seul coup étrange, un objet pas à sa place quand il compose avec génie ses tableaux. Car, ce n’est pas un hasard, Damien est un créatif, un artiste; alors plus il est en haut, plus il se sent bien, enfiévré devant sa toile- tans pis pour les dommages collatéraux, son fils qu’il conduit en voiture comme un fou, sa femme qui tente de le retenir; la peur est partout, pour lui, pour eux, à l’image de la première scène où l’on imagine le pire, l’accident pour l’enfant, la noyade pour lui. Peu de dialogues, l’amour qui relie Damien et Leîla ne se prête pas aux commentaires. Ils s’aiment c’est tout, entre étreintes enivrées et larmes; elle menace de le quitter, le supplie de prendre son traitement. Jusqu’à quand va t’elle tenir, elle ou son beau-père face aux frasques de ce mari, ce fils, victime tout autant de ses démons? Ceux-là même qui le clouent au lit quand ils ne l’empêchent pas de sortir seul de son bain. Celui qui n’a pas vécu ces moments ou accompagné l’autre dans ceux-là, s’ennuiera. Deux heures, c’est long quand on a pas connu le gouffre ou vu l’être aimé y sombrer. Il regrettera ce temps perdu lorsqu’il manque tellement dans notre société de zapping permanent et de réactivité immédiate dictée par les résaux sociaux; lui manqueront les dialogues pour comprendre ce qui semble au tout venant incompréhensible; « un fou » concluera -t’il. Autrefois, on les enfermait, aujourd’hui on tente de les soigner même si la médecine et les régulateurs d’humeur ne peuvent pas grand chose pour qui traverse la vie en tutoyant le ciel ou en rampant à terre. Le réalisateur belge l’a bien compris tout comme il avait su voir comment une mère pouvait aller jusqu’à l’infanticide- A perdre la raison ou comment l’argent dicte les règles dans le mariage, avec L’économie du couple, en suivant toujours cette règle de mettre en images sans jamais juger; car Joachim Lafosse est de ces réalisateurs rares qui ont confiance dans ceux qui regardent ses films, à eux de reflechir, ressentir, de lire dans un regard ce que l’on nomme le sous-texte. Il est juste dommage que le monteur n’ai pu monté plus cut en ôtant une demi-heure, le film y aurait gagné en puissance.
Aline, un soleil sur grand écran
Céline Dion a-t’elle vu Aline, biopic qui ne dit pas son nom, et film « épatant « – on dit cela au Québec aussi, non? – sur sa vie réalisée et interprétée par Valérie Lemercier pour ce qui restera sans doute le film de sa vie. Quatre ans de préparation, entre lecture et visionnages de vidéos pour entrer dans la peau d’Aline Dieu, de son enfance à Charlemagne à son apogée à Las Vegas. Son histoire d’amour avec René-« un vieux pruneau de trois fois son age et deux fois divorcé » comme lui lance avec truculence cette mère ultra protectrice/possessive campée par Danielle Fichaud. Un casting 100% québecois comme une évidence où Sylvain Marcel joue ce producteur Pygmalion qui, dès qu’il a entendu sa voix sur une cassette-eh oui, on était dans les années 80- a su voir en elle la star qui ne demandait qu’à éclore. Tout s’enchaîna alors très vite; une première TV exclusive avec Michel Drucker, les diisques d’or, un album au cordeau écrit par Jean Jacques Goldman (et massacré en karaoké-sic) pour une jeune fille à la voix en or , qui a néanmoins travaillé dur pour avoir l’ accent anglais, pour modeler son physique à coup de chirurgie dentaire ou de cours de danse afin de devenir une show girl mondialement connue, notamment avec la BO en anglais de Titanic, une mélodie qui ne lui disait pourtant rien au départ. Mais ce qui frappe le plus est la magnifique cohésion de cette famille de treize enfants dont le père annonce dans les premières images qu’il souhaite ne pas le devenir en épousant Sylvette. L’arrivée tardive de la petite dernière, Céline, est cependant l’enfant de trop; à la confesse, le prêtre dira « on ne refuse pas un cadeau de Dieu », alors Aline verra le jour, chérie par tous, chantant dans l’orchestre familial puis, par la grâce d’un appel téléphonique-la scène est inoubliable- se retrouvera dans les pantoufles de sa mère dans le bureau du producteur qui deviendra son pygmalion et bien plus tard mari, Guy Claude. « A quoi cela me sert-il d’être tout en haut si j’y suis seule? »; la question est toujours vraie à l’image des dialogues enlevés, toujours justes et servis par l’ interprétation jubilatoire de Valérie Lemercier, rendue enfant par des meubles surdimensionnés jusqu’à sur la scène où, doublée par Victoria Sio, sa silhouette longiligne au service des tubes de Céline Dion achève d’emporter le spectateur. Les drames de la star- avoir des enfants sans y parvenir, travailler sans relâche jusqu’à perdre sa voix- les serviettes en papier sont un régal, bref, un feel good movie intelligent et drôle qui, en ces temps difficiles vaut largement le prix du ticket de cinéma.
PAR LM