C’était un jour d’hiver gris plombé. Le feu était rouge. Au dessus de la Seine, là devant le Louvre, dans ce Paris si rectiligne et attendu, des oiseaux migrateurs sont passés. Combien sommes-nous à les avoir vus? A prendre un instant pour observer ce pur moment de beauté, le sauvage qui s’invite au dessus de la ville, ces grands voyageurs passant au dessus des petites fourmis et des engins bruyant qui un peu plus bas s’affairaient. L’un deux volait à part, un peu perdu. « A ce Jonathan le Goéland qui sommeille en chacun de nous »… Cette promesse d’ailleurs, cette parfaite géométrie dans la formation, c’était irréel de beauté. Où allaient-ils? D’où venaient-ils? Qui étaient-ils? Frédéric Malher, un professeur en sciences naturelles, collaborateur d’un ouvrage, Les oiseaux à Paris s’est passionné pour ces cigognes, oies sauvages ou encore rapaces pour lesquels Paris reste un carrefour comme pour les hommes, « Paris n’étant qu’un point sur leur trajet : la plupart passe au-dessus comme ils passeraient n’importe où », explique- t’il. La capitale est néanmoins une escale pour certains, comme les hirondelles de fenêtres, les martinets et la plupart des fauvettes à tête noire; et donc parfois même un nid douillet pour les nouveaux petits à la faveur d’une gouttière ou d’un bâtiment insalubre. Février-Mars, ce sont les espèces plutôt sédentaires, les merles noires, les pigeons colombins et les ramiers, les mésanges et les pies qui sont parisiennes, à découvrir du coté du Cimetière Père Lachaise ; cygnes, goélands et hérons sont au lac des Minimes, au Bois de Vincennes. Chaque espèce est ainsi recensée par la Ligue de la protection des Oiseaux (LPO), avec des bénévoles, des passionnés et des scientifiques qui s’activent à les repérer et les annoter.
Une vie de nomade
L’année est pleine de transhumances, certains oiseaux quittant notre région comme la huppe ou le rossignol, d’autres y arrivant, venus des pays nordiques. Le froid ne les dérange point, leurs plumes s’imbriquent et se resserrent pour conserver l’air, lequel se réchauffe, comme un manteau, cela pour une température corporelle de 41°C en moyenne. Même si un hiver glacial peut les surprendre. Avec la chute des températures en fin janvier, certaines bécasses, sont ainsi « mortes à la suite de chocs contre des vitres» dans les rues parisiennes et « la Seine a accueilli plusieurs canards nordiques venus s’y réfugier après le gel des étangs ». Lorsque le gel arrive, la nourriture manque, les insectes, repas préféré des hirondelles, se cachent. Alors, elles quittent Paris pour des terres plus riches, plus fertiles, traversant la Méditerranée par le détroit de Gibraltar ou celui du Bosphore, par la Corse ou la Sicile, pour se réfugier au Maghreb et plus loin, vers le Sahara et les terres centrales d’Afrique. Elles peuvent ainsi parcourir jusqu’à 5 000 kms. Certains de ces oiseaux migrateurs volent alors en « V », manière judicieuse de se grouper en limitant les frottements de l’air et faciliter le vol pour les congénères qui se trouvent à l’arrière. D’autres restent à haute altitude – 2 000 jusqu’à 9 000 mètres pour des oies – en utilisant les vents ascendants pour ensuite planer comme bon leur semble vers leur destination. Pour cela, ils ont une orientation innée. Des scientifiques l’expliquent par une sorte de boussoles internes présentes dans leurs cellules. Ils mémorisent aussi les lieux qu’ils traversent, créant une cartographie personnelle. Le soleil les aide parfois pour identifier le nord et le sud. D’autres pour pouvoir se nourrir la journée, comme les cigognes, migrent la nuit se repérant avec les étoiles, tel un marin. Un air plus frais et plus dense les fait voler plus loin.
Malgré tout, leur voyage n’est pas de tout repos, semé d’embûches. Les distances en pleine mer sont longues, plusieurs milliers de kilomètres et aucun endroit pour se reposer ; les montagnes sont un vrai labyrinthe. Et puis l’homme a installé de nombreux pièges, des lignes à hautes tensions, éoliennes, éclairages nocturnes qui les désorientent. Le réchauffement climatique a aussi une influence; ils remontent plus tôt vers le nord. « Ceux qui hivernent au sud du Sahara ne partent pas plus tôt car il n’y a pas de printemps thermique dans ces régions : ils partent à cause de l’allongement du jour. […] En revanche un certain nombre « essaient » de ne pas migrer : des hirondelles tentent d’hiverner chaque année en Bretagne ce qui, avec le réchauffement climatique se fera de plus en plus souvent. » Ces oiseaux préparent également leur voyage, une mue de leurs plumes, des réserves de graisse. Certains passereaux se gavent de nourriture et doublent de masse pour pouvoir voyager plus longtemps. Ils volent par contre à basse altitude – vol battu – et se posent régulièrement. Leur migration a lieu à la fin de l’été jusqu’à l’automne pour ceux qui partent avec leurs petits vers des terres plus chaudes ; à la fin de l’hiver pour ceux qui reviennent pour le printemps et les rencontres amoureuses. D’autres, comme les mésanges, sédentaires, préfèrent changer leur alimentation, adoptant un régime hivernal. Elles choisissent alors de se priver d’insectes pour trouver des graines perdues dans les arbres.
Mais, ce qu’il y a de plus beau chez les migrateurs, c’est qu’ils reviennent généralement vers leur lieu de naissance – qui n’est autre que Paris pour les martinets noirs. Paris, ville romantique par excellence et dont la Saint Valentin marque le début de leurs accouplements avant d’être devenu la fête commerciale des pauvres échassiers que nous sommes, obligés de prendre un avion pour voler vers d’autres contrées…
Par Laetitia Monsacré et Sylvain Gosset