Ils sont trois; leur album a été salué l’année dernière par l’ensemble de la critique (Rolling Stone, The Times, The Observer, la BBC…), avec à la clé un Grammy, l’équivalent des Oscars pour la musique, et les premières parties du sieur Bob (Dylan) et de Taj Mahal, ce sont les… Carolina Chocolate Drops, à découvrir mardi soir à La Maroquinnerie.
Leurs particularité? Déterrer et revisiter le répertoire des black-string bands des années 20, que la communauté noire à étrangement laissée de côté pendant un demi-siècle alors qu’il a grandement inspiré les musiciens «blancs», qu’ils soient folk, rock ou «country». L’occasion de remettre à l’honneur un répertoire oublié et certainement la raison de leur succès, avec cette idée qu’ils aiment la musique et, peut être plus encore la faire partager.
Association improbable
Le parcours de ces «Drops» au chocolat – référence évidente à la couleur de leur peau- est exemplaire car, comme dans toute bonne histoire, il était tout simplement hautement improbable… Imaginez, il y a six-sept ans, au fin fond de l’Amérique profonde, un musicien de rue, une soprano classique et quelques bons amis se retrouvent pour partager leur passion de la Contra-dance. Vous savez, la Disco des années 1900, celle qui faisait chauffer les soirées des granges du nouveau monde avant l’arrivée du rock, des transistors, de la télé et de Lady Gaga…
Un trio se forme et pendant cinq années, ils creusent, expérimentent et raniment, avec l’aide de Joe Thomson, jeune homme de 91 ans et mémoire vivante de l’état de Caroline, cette partie endormie de l’histoire musicale américaine. Mais surtout, pendant ces années qui les séparent du succès, ils jouent, partout et tout le temps. Dans les cafés, les petites salles, les écoles, les festivals. Ils développent leur son et étendent leur palette musicale. Cela leur réussit car, comme dit l’adage, c’est en faisant que l’on apprend à faire …
Energie communicative
Au programme de Leaving Eden, des reprises à se taper les mains sur les cuisses, des ballades, des compositions originales. Un mélange de genre et de tempo entraîné par cette joie indicible qui anime le groupe et par Rhiannon Giddens, madame la soprano, qui, au sortir du très respectable Conservatoire de l’Université Oberlin, première université américaine à avoir accepté les noirs et les femmes en son sein, laissa de côté une évidente carrière de soliste classique pour taper du pied comme une vraie country girl…
Pour comprendre le secret des Drops, il suffit de regarder les vidéos de leurs concerts. Leur énergie et leur plaisir à jouer d’autant plus communicatif qu’ils ont surtout su s’approprier cet héritage sans s’enfermer dans une quelconque démarche nostalgique ou communautaire. Comme leurs lointains ancêtres musiciens, ils font «du neuf avec de l’ancien». C’est cette force, cette intégration qui fait de Leaving Eden un album superbement équilibré ou morceaux historiques succèdent aux balades et chansons originales et ou blues, jazz, country et même hip-hop se mêlent aux banjo, guitare, violoncelle et beat-box sans s’opposer.
Au plus près des instruments
Il faut écoutez le jouissif I’m no man’s mama anymore, qui décrit la liberté retrouvée d’une femme qui vient de divorcer pour partager le plaisir évident que prend Rhiannon Giddens à incarner cette reprise d’Ethel Waters (1925) comme si elle venait à l’instant de sortir du métro, sac baluchon et iphone à la main… De même, il faut aller au bout de cet album, pour se laisser happer par le Pretty Bird d’Hazel Dickens qu’elle exécute à capella avec ce qu’il faut de puissance et de retenue pour exprimer toute l’émotion de ce texte.
La chanson-titre de l’album exprime à elle seule le chemin accompli depuis leur Grammy. Ecrit par leur consoeur Laurelyn Basset, Leaving Eden évoque, avec des paroles que l’on en garde en tête longtemps (Nowhere to go …Time ‘s just another way to leave the ones you love…), les effets de la crise dans une ville minière en Caroline du Nord. On est désormais bien loin du simple hommage musical à une tradition oubliée des débuts.
On peut relever, dans la diversité de l’album comme dans la précision du mixage, tout le métier de Buddy Miller, monsieur le Producteur, chez qui le disque à été enregistré, et a qui on peut tirer le chapeau (le Stetson en l’occurence) pour avoir produit Leaving Eden de manière à ce que, en restant au plus près des instruments, on ait l’impression d’être avec les Drops dans son salon pendant l’enregistrement.
Les Carolina Chocolate Drops ont pris leur envol, on ne peut que leur souhaiter bonne route et espérer qu’ils garderont cette fraicheur et cette empathie avec le public qui fait leur force et …notre plus grand plaisir.
Par Matthieu Emmanuel
Les Carolina Chocolate Drops – En concert à Paris à la Maroquinerie le 16 octobre, le 17 à Nimes à la Paloma et le 18 à Bruxelles à Muziekpublique.Leaving Eden est distribué en France par le label Dixiefrog