Il arrive qu’avec l’âge certains rosiers ne produisent plus que des épines. Les hommes sont pareils à moins de trouver ce que l’on appelle leur « voie ». François Cluzet est désormais l’acteur français auquel on envoie en premier les scénarios. Ce ne fut pas toujours le cas, le rôle d’Intouchables qui lui a valu son statut de « star » ayant été tout d’abord proposé à Daniel Auteuil. Après un film de « potes » avec Yvan Attal, Do not disturb, il revient sur les grands écrans avec 11, 6 dans un beau rôle de taiseux, à l’image de ces employés condamnés à vie à l’anonymat, réduits au silence et à la routine. Mais qui, comme dans cette histoire vraie du convoyeur de fonds Tony Musulin, décident un matin de changer le cours des choses. Et cesser d’être des victimes. La démarche lourde, le regard dur qui dit tout le trop-plein, une fois encore, il ne » joue » pas mais touche d’une manière quasiment animale à l’essence même de son personnage. Et ainsi pour ce fils de kiosquier de parvenir à être aujourd’hui tout en haut de l’affiche tout en jouant des « Français moyens » comme dans le film A l’origine ou Mon père est femme de ménage. Voilà qui lui donna l’occasion, il y a deux ans, de parler sans compter son temps de son métier d’acteur, avec déjà cette belle sérénité qu’il promène aujourd’hui sur les plateaux. La même qu’il a sans aucun doute trouvée dans la vie, n’hésitant pas par ailleurs- contrairement à tant d’artistes aujourd’hui- à s’engager comme dans l’opération 2′ pour la Syrie (photo de Sarah Moon ci-dessus) ou accepter la taxation des plus riches au nom de ce mot qui semble désormais si oublié- la solidarité.
Vous auriez pu faire un autre métier?
Non, rien d’autre ne m’intéressait. Je voulais faire de la scène; pendant quinze ans, j’ai fait du théâtre et puis ensuite du cinéma. C’est vrai que j’ai mis du temps en faisant cela en amateur au départ; dans mon esprit, je voulais être célèbre tout en faisant un métier intéressant. J’avais ce désir d’être aimé par le plus grand nombre, l’idée d’être en lumière et de ne pas aller dans le même sens de ce que faisaient les autres. Je voyais ce métier comme une aventure.
Comment choisissez-vous vos films?
Mon agent reçoit les scénarios, me donne son avis et me les passe – tous. Passé la page trente, si je m’ennuie, je referme. Sinon, si cela me plaît, s’il n’y a pas trop de clichés, je demande alors à rencontrer le metteur en scène; je vois ensuite si les acteurs qui vont jouer sont de la même famille que moi.
C’est-à-dire?
Des gens qui ne jouent pas, qui n’interprètent pas mais « incarnent ». Et qui ont le sens de l’équipe. Un film, cela se fait à cinquante personnes, pas tout seul. Rares sont les metteurs en scène qui acceptent le fait qu’un film est le résultat d’un travail collectif, pourtant un film c’est avant tout cela.
Qu’attendez-vous de vos metteurs en scène?
Qu’ils permettent l’abandon, le lâcher-prise. Cela ne s’obtient que si le metteur en scène vous valorise. Il faut être aimé pour s’abandonner dans un film. Si vous voulez être entièrement « physique », que l’émotion puisse s’exprimer parfaitement, il faut être « accompagné », sinon vous ne le faites pas. J’ai besoin que l’on me donne pour que je donne. C’est absolument indispensable si vous voulez vous « faire mal » dans les scènes qui le demandent. Si cet accompagnement n’existe pas, vous avez des acteurs qui jouent dans la maîtrise. Si cela m’est arrivé? Oui, bien sûr…
Vous envisagez la mise en scène?
Il est très difficile de convaincre un producteur de sortir de la comédie grand public comme Camping ou la Vérité si je mens. Avant tout, j’aurais envie de me servir de la fantaisie des acteurs. J’ai un projet depuis longtemps d’une comédie sur une femme jeune qui est seule et qui veut des enfants.
Et la célébrité, vous la vivez comment?
Je suis ravi puisque c’était un rêve d’enfant; je l’ai toujours intégrée au point que c’est le contraire qui aurait été douloureux. Maintenant il faut savoir quoi en faire. Etre célèbre, oui si c’est pour toucher les gens, les faire rire, les faire pleurer, les divertir. Pour autant, je n’aime pas m’afficher; je suis toujours dos à la salle et le plus discret possible dans les lieux publics.
Vous vous voyez comment dans dix ans?
A soixante cinq ans, les rôles ne sont plus très intéressants; on commence à jouer les grands-pères, les seconds rôles… Ce qui est plus intéressant à cet âge-là, c’est d’aller vers des choses dont on ne connaît rien mais dont on a le goût. J’aime par exemple le fer; ça se tord, ça se ressoude ; je ne suis pas un intellectuel mais j’aimerais faire des choses avec mes mains.
Il y a peu de chances que cela soit pour tout de suite… même si le prochain rôle du comédien dans En solitaire fera de lui un navigateur du Vendée Globe; du sel, du vent et des voiles pour un rôle bien physique comme il les aime et qui devrait lui permettre une fois encore une belle évidence dans le jeu. Avec le spi ouvert et le vent bien dans le dos…
Par Laetitia Monsacré