Après le Théâtre des Abbesses, c’est le Théâtre Gérard Philipe à Saint Denis qui présente un triptyque- La Noce, de Bertolt Brecht, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce et Nous sommes seuls maintenant, du collectif In Vitro. Toutes trois mises en scène par Julie Deliquet, ces pièces exposent avec distance et humour les difficultés de la génération soixante-huitarde à s’émanciper de ses idéaux.
Alors que La Noce expose un repas de mariage désastreux, le texte de Lagarce confronte trois anciens amants, contraints de se retrouver vingt ans après pour vendre la maison qu’un d’eux occupe toujours. La troisième pièce présente le repas organisé dans la nouvelle maison de campagne d’un ancien couple de soixante-huitards. Parents, enfants et amis au menu. Si La Noce, censée représenter le mariage de leur parent, est une introduction un peu longue, les deux pièces suivantes, en confrontant cette génération dite « dorée » à ses parents et à ses enfants, s’avèrent particulièrement efficaces dans le décapage des vieux oripeaux post soixante-huitards.
Une mise en scène naturaliste
Lors de ces trois banquets familiaux, la dizaine de comédiens excelle à créer une atmosphère irrespirable, à force de propos venimeux et de frustrations enfouies. C’est d’ailleurs pour échapper à ce malaise que le public du Théâtre des Abbesses a peut être ri autant. La confrontation de ces trois générations, ironiquement prolongée jusqu’à la quatrième génération par la présence de plusieurs groupes d’adolescents dans la salle, pose un regard cruel sur ces soixante-huitards. Alors qu’ils voulaient faire table rase du passé, ils sont désormais rattrapés par leurs faiblesses, leurs peurs ou simplement leur âge. Il ressort de ces trois pièces le portrait d’une génération paumée, presque attachante, et définitivement mal à l’aise avec son époque.
Si le thème est classique, Julie Deliquet le traite sans tomber dans la facilité ni parti-pris. Mais l’intelligence et l’originalité de la mise en scène est surtout d’arriver à créer ces atmosphères familiales faussement conviviales, en donnant notamment aux comédiens une grande liberté d’improvisation au cours de longs « plans séquences ». Il est à partir de là très difficile de ne pas s’identifier à ces situations, alors que plusieurs échanges résonnent probablement familièrement aux oreilles des spectateurs.
C’est alors l’occasion de se rappeler que les grands discours révolutionnaires font souvent long feu face l’âpreté des rapports familiaux.
Par Florent Detroy
Théâtre Gérard Philipe à Saint Denis, Nous sommes seuls maintenant, le 2, 3, 8, 9, 10 à 20h30. Intégrale le 4, le 5, le 11 et le 12 octobre.