Dix ans, et puis s’en va. Vers où? Le Pariser espère pouvoir le demander l’oeil dans l’oeil à Eric Ruf, administrateur général de la Comédie Française depuis 2015, où il avait annoncé un programme ambitieux-voir article, tout en continuant ses mise en scène inspirées d’opéras au Théâtre des Champs Elysées. Comme grands moments entre autres, à son actif, la Cour d’honneur du Palais des Papes au Festival d’Avignon, avec toute la troupe du Français pour Les Damnés de Visconti. Pour finir en beauté, voilà Le soulier de Satin de Paul Claudel, avec Marina Hands qui reprend le rôle de Prouhèze tenu en 1987 sous la direction d’Antoine Vitez, par sa mère, Ludmila Mickaël, Laurent Stocker, Florence Viala, compagne d’Eric Ruf et Suliane Brahim, une des actrices pépite du Français. Comptez huit heures de jeu, avec deux entractes et une pause, pour un drame d’amour sur vingt ans, condensé en quatre journées. Complet, il faudra compter sur les places de dernières minutes et apporter de quoi soulager son estomac, pour cette pièce fleuve entrée au répertoire en 1943 et très peu jouée depuis.
De Shakespeare à Brecht
Le Théâtre de la ville, un peu oublié depuis ses travaux, s’attaque à la fable à voir et à revoir, écrite par Shakespeare au 16eme siècle, Le songe d’une nuit d’été. Emmanuel Demarcy-Mota et sa troupe revisitent ce classique qui, comme tous les chefs d’oeuvres conserve toute sa modernité dans une pièce jonglant entre le réel et l’illusion. L’histoire? À Athènes, Thésée s’apprête à célébrer ses noces avec Hippolyta, la reine des Amazones. Dans la forêt avoisinante, Obéron, roi des fées, se dispute avec Titania, sa femme, au sujet de leurs nombreuses conquêtes passées et présentes. Ajoutons deux couples d’amoureux contrariés – Hermia, qui est amoureuse de Lysandre mais promise à Démétrius, lequel est aimé d’Héléna-vous suivez? Plus des artisans partis répéter une tragédie pour les noces de leur roi, sous la baguette du truculent Bottom. Un chassé croisé amoureux, à l’image du livret de Da Ponte pour Mozart, Cosi Fan Tutte dans le cadre d’une forêt magique , où les sortilèges d’Obéron, aidé par le lutin Puck, vont semer la confusion au cours d’une nuit dont personne
ne saura si elle est un rêve, un jeu ou un fantasme.
L’extrême droite de retour
Quant au Théâtre de l’Odéon, voilà Brecht et Grand-peur et misères du IIIe Reich, pièce écrite entre 1935 et 1938 et ici, mise en scène par Julie Duclos, qui s’est attachée à voir comment “le fascisme s’infiltre peu à peu dans la vie quotidienne, ordinaire”-un sujet très actuel. Les vingt-quatre scènes qui composent la pièce dressent un portrait de la société allemande depuis l’avènement d’Hitler jusqu’aux prémices de la guerre sans toutefois suivre une chronologie rigoureuse. Brecht s’est directement inspiré de récits de témoins oculaires et d’extraits de journaux pour composer ce texte qui montre l’enracinement profond du régime nazi dans toutes les sphères du peuple allemand. On y voit tour à tour la bourgeoisie, le corps médical, la justice, les prisonniers évoluer face au régime. Ou encore les enfants comme dans Le mouchard, histoire d’un couple allemand qui est persuadé que leur enfant est parti les dénoncer à la Gestapo car le père, bien que patriote, vient de formuler quelques critiques envers le régime. Au détour d’une parole, d’un regard, d’un silence, le mensonge et la peur s’insinuent dans la chair des gens et modifient leurs relations, dans l’intimité d’une cuisine, d’une chambre ou d’un bureau. La mise en scène axée sur le jeu d’acteur, et la scénographie épurée rappelle l’Histoire, et “à nos portes”.
GC
Le Soulier de satin jusqu’au 23 avril 2025- Comédie Française
Le Songe d’une nuit d’été jusqu’au 10 février 2025 au Théâtre de la Ville
Grand-peur et misères du IIIème Reich, jusqu’au 7 février 2025 au Théâtre de l’Odéon