On a fêté mercredi dernier les 50 ans de ce qui fut un crime d’Etat- et dont la chape de silence qui l’entoure depuis, est encore bien présente. Peu de médias ont ainsi relayé-aucun documentaire diffusé à la télévision, malgré le remarquable « Mourir à Charonne » de Daniel Kupferstein, très peu d’articles- faites le test de googleliser, vous verrez- cet événement qui fait pourtant partie de la mémoire collective, laquelle perpétue encore aujourd’hui l’amnésie voire l’indifférence. 700 personnes seulement ont ainsi manifesté pour rendre hommage aux 9 morts et 250 blessés qui se retrouvèrent écrasés à l’issue d’une manifestation pacifique à l’entrée de la station de métro Charonne après que la Police ait chargé, tabassé avec leurs « bidules »-matraques de l’époque, lancé les grilles encerclant les arbres et poursuivis les manifestants sur les quais (chose récemment prouvée mais longtemps niée, on prétendait que les grilles étaient fermées). De cela, il n’y a point de photo-elles furent toutes confisquées sur place.
Contrôle absolu des médias
Être journaliste à l’époque n’était pas chose évidente -l’état d’urgence avait été voté et l’ORTF s’assura que la version officielle reprenne à la lettre la défense du ministre de l’Intérieur de l’époque, Roger Frey, qui accusa « des groupes organisés de véritables émeutiers, armés de manche de pioche, de boulons, de morceaux de grille, de pavés [d’avoir] attaqué le service d’ordre ». L’Union pour la nouvelle République (UNR) tenta même d’ accuser des membres de l’OAS de s’être déguisés en policiers pour charger les manifestants avec un faux documents. En 1966, une loi d’amnistie fut votée, celle-ci couvrant la manifestation de 1961 et celle de 1962. On était priés d’oublier que Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur, Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire, Daniel Féry, 16 ans, apprenti,Anne-Claude Godeau, 24 ans, employée PTT, Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier, Suzanne Martorell, 36 ans, employée à L’Humanité, Hippolyte Pina, 58 ans, maçon, Raymond Wintgens, 44 ans, typographe et Maurice Pochard, 48 ans avaient payé de leur vie un ordre de charge donné par le déjà tristement célèbre Maurice Papon, alors préfet de Police de Paris. Lequel dans ses mémoires s’est discupé-aussi- de cela en affirmant que c’est le Général de Gaulle, lui même, qui avait souhaité la plus grande fermeté. La même, sans doute qui avait permis à la Police quelques mois auparavant, en octobre 1961 de tirer à balles réelles sur des manifestants, là encore pacifistes avec des femmes et des enfants, jetant au passage quelques dizaines d’Algériens dans la Seine. Des personnes qui comptaient pour si peu- on avait instauré le couvre feu entre 20h30 et 5h30 pour tous les musulmans de France, sic-que le bilan est encore aujourd’hui incertain-entre 100 et 200 morts.
Incontournable Maurice Papon
On fêtera également, si l’on peut dire, dans quelques jours le cinquième anniversaire de la mort de Maurice Papon qui après ces deux faits d’arme, ne fut pas plus inquiété, à l’époque, qu’à l’issue de la Libération; il faut rappeler qu’il dirigeait le service des questions juives à Bordeaux sous le régime de Vichy et fut responsable de l’envoi de 1560 juifs dans les camps d’extermination, homme, femme et enfants, ratant au passage le célèbre et merveilleux éthologue, Boris Cyrulnick dont les deux parents n’eurent pas cette chance. »Pour un coup donné, nous en rendrons dix », telle fut sa vision de l’ordre ensuite, nommé Préfet de Police et auréolé par sa croix de Commandeur de la légion d’honneur pour fait de résistance…
Vous l’aurez compris, on est ici dans les poubelles de l’histoire de France avec une mémoire encore si vive en ce qui concerne les héritages du gaullisme que l’on risque immédiatement d’être taxé- je le sens en écrivant ce lignes- d’appartenir à l’extrême gauche en tentant de rétablir la vérité. Mais comme disait Pirandello, dans toute histoire, « Il y a ma vérité, ta vérité. Et la vérité »…
Par Laetitia Monsacré
Deux auteurs, Alain Frappier et Désirée Frappier ont réalisé dans la veine de Art Spiegelman (Maus) et Marjane Satrapi (Persepolis) ou Joe Sacco (Gaza) une formidable BD à l’aide de Maryse Douek-Tripier, jeune étudiante rescapée de la charge. Un ouvrage publié par les éditions mauconduit dont Charonne est la première-courageuse et très réussie – publication.