21 septembre 2024
Charismatique ouverture de saison à l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine avec Joseph Swensen

 

C’est un rendez-vous institué par Emmanuel Hondré à son arrivée à l’Opéra de Bordeaux en 2022, le concert d’ouverture de la saison avec une diffusion hors les murs dans la métropole et la région, ainsi que dans les deux villes jumelées avec la capitale aquitaine, Munich et Los Angeles. L’association avec cette dernière prend un relief particulier, non seulement en raison des Jeux Olympiques, mais également parce que le nouveau directeur musical de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine est américain. Joseph Swensen avait déjà suscité l’enthousiasme du public bordelais en septembre 2023, que l’on retrouvera encore plus évident pour cette soirée inaugurant son mandat à la tête de la phalange girondine.

La portée symbolique – et citoyenne – du programme n’a pas été laissée au hasard. Près d’un demi-siècle après Copland et sa Fanfare for the Common Man, commandée, après l’attaque de Pearl Harbor, pour soutenir l’effort patriotique pendant la Seconde Guerre Mondiale, et restée, au-delà des circonstances, une page du répertoire, sa compatriote, Joan Tower a composé six Fanfares for the Uncommon Woman, en hommage aux femmes « audacieuses et qui prennent des risques ». Pour un ensemble de dix cuivres, la Troisième évolue depuis un lyrisme à la fois un peu solennel et voilé de dissonnances vers un élan lumineux, porté par une énergie qui en fait un prélude naturel à l’humanisme universel de la Neuvième Symphonie de Beethoven.

Beethoven, messager d’un élan humaniste universel

Par une gestuelle très expressive, quasi chorégraphique par moments, un peu profuse peut-être dans les premières mesures, Joseph Swensen fait retentir le chaos démiurgique au début de l’Allegro ma non troppo, un poco maestoso, avec un instinct évident d’une verticalité où les motifs thématiques résonnent comme des précipités un peu frustes ou primitifs. Rien de confus pour autant dans la conduite du mouvement : la souplesse dans l’éclairage de chacun des pupitres soutient sans relâche la narration de la sortie de l’humanité depuis ses ténèbres géologiques. Cet instinct de la caractérisation et cette énergie expressive se confirment dans un scherzo qui prend l’allure d’une chevauchée épique, rythmée par la vitalité des attaques orchestrales, dans la continuité de l‘Allegro initial, mais avec une fougue lumineuse, nouvelle et irrésistible. On y devine déjà une fluidité du tempo qui, avec un sens éloquent du contraste, s’épanouira pleinement dans l’Adagio molto e cantabile. La plasticité avec laquelle est développée la ligne mélodique révèle les variations comme une évolution organique d’un chant aussi infini que sa douceur réconciliatrice.

L’introduction du finale, avec les brèves citations de chacun des mouvements précédents, revient à l’inspiration démiurgique, accompagnée avec une efficacité aussi théâtrale que symphonique, avant que ne retentissement, depuis les graves, les notes de l’Hymne à la joie. La générosité de la direction de Joseph Swensen se confirme dans cette fresque jalonnée de ruptures, encourageant chacun des pupitres mis en avant par la partition. Soutenu par les choeurs, réunissant les effectifs de Bordeaux, préparés avec soin par leur chef depuis dix ans, Salvatore Caputo, et ceux d’Angers Nantes Opéra emmenés par Xavier Ribes, le quatuor vocal défend le message d’espérance des vers de Schiller, avec une certaine complémentarité dans l’équilibre des tessitures. Le ténor Mauro Peter adoucit la vitalité un peu mordante de la basse Florian Boesch, tandis que le mezzo d’Anna Bonitatibus enrichit le soprano clair d’Angelique Boudeville. L’enthousiasme qui accueille la conclusion ne laisse aucun de doute sur le charismatisme du chef américain, qui présente le 3 octobre le premier volet d’une trilogie symphonique. Beethoven ne pouvait être un meilleur ambassadeur pour ce désir de partager les émotions musicales. Pour la saison 2024-2025, le concert dans la ville est plus que jamais un emblème de l’opéra citoyen défendu par Emmanuel Hondré.

Gilles Charlassier

Concert Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Auditorium, Bordeaux. Diffusion dans 70 lieux de la ville et de la région. 20 septembre 2024

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