Ainsi qu’il est de coutume pour les fêtes de fin d’année, le ballet est à l’honneur à l’Opéra de Bordeaux, comme dans toute compagnie classique à l’instar de l’Opéra de Paris – celle de Bordeaux est la deuxième de France après celle de la capitale. Pour le cru 2022, c’est la relecture du Cendrillon de Prokofiev par David Bintley qui est remis à l’affiche, trois ans après son entrée au répertoire du Grand-Théâtre, alors perturbée par les grèves. Si la chorégraphie bien connue des amateurs parisiens et français de Noureev, à Garnier et désormais à Bastille, a transposé le conte de Perrault au milieu des mirages d’Hollywood, celle de David Bintley revient à une certaine magie originelle, non sans accentuer certaines situations ou caractères. Ainsi, Cendrillon est-elle ici non seulement orpheline de mère, mais également de père : la toute-puissance de la marâtre se conjugue à une gêne certaine confinant à l’indigence pour celle qui est réduite à la domesticité. Cela donne alors un relief supplémentaire à la quête du mariage providentiel, redoublé par celui des deux sœurs renommées Skinny et Dumpy, en référence à l’anorexie de l’une et la boulimie de l’autre – avec un mordant comique que certains n’oseraient peut-être plus aujourd’hui. Dessinés par John MacFarlane pour la création du spectacle par le Birmingham Royal Ballet en 2010, les décors et costumes déclinent des pastels, voire des paillettes, au diapason de ces noces entre humour et féerie portées par la lecture du chorégraphe britannique.
Une Cendrillon sous le signe de l’osmose
Pour la soirée de première de cette reprise, c’est un couple, sur scène et à la ville, bien connu des amateurs bordelais, qui incarnent Cendrillon et le Prince. L’osmose entre Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic s’affirme au fil de la soirée, depuis la timidité des premiers émois jusque dans l’intensité du duo amoureux et le triomphe des sentiments véritables. Les figures qui gravitent autour des amants ne manquent pas de saveur. Outre les chamarres excentriques des deux sœurs et leur mère, la clique des artisans de l’apparat, coiffeur, perruquier et autres costumes, ne le cède en rien aux fées, douées d’une indéniable tendresse. Les ensembles sollicitent généreusement le corps du Ballet, et même des élèves du CRR de Bordeaux. Cet éblouissement s’appuie évidemment sur la partition de Prokofiev, l’une des plus belles du répertoire – même si Roméo et Juliette affirme peut-être une richesse expressive supplémentaire. Sous la baguette de Pierre Dumoussaud, les pupitres de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine en font respirer l’essentiel des rythmes et des couleurs, comme un parfait écrin pour la narration chatoyante de David Bintley. Un classique rafraîchi et un cadeau idéal pour les fêtes de Noël et du Nouvel An !
Par Gilles Charlassier
Cendrillon, ballet de David Bintley, Opéra de Bordeaux, décembre 2022.