Pour son dixième anniversaire, le mini-festival de l’Opéra de Lyon, rendez-vous désormais consacré de la saison, fait évènement en se consacrant à Britten, dont on vient de fêter l’an dernier le centenaire. Au vu de la chiche manière dont cela a été fait en France où le compositeur britannique reste injustement négligé, l’initiative n’en ressort que davantage. Et pour ouvrir le bal, Serge Dorny a mis à l’affiche Peter Grimes, le premier opéra de Britten, chef d’œuvre qui valut à son auteur de connaître subitement les feux de la rampe au lendemain de la seconde guerre mondiale et qui n’avait encore jamais été présenté sur scène dans la capitale des Gaules – et que Paris n’a pas donné depuis plus de dix ans.
Peter Grimes ou la mer imaginaire
Seul à côté de sa barque naufragée pendant que son nom résonne comme un appel, Peter Grimes incarne une figure de marginal. Accusé de maltraiter – si ce n’est davantage – ses apprentis après la mort de deux d’entre eux, le marin du poème de Crabbe dont s’est inspiré Britten est en butte à la vindicte sociale, et préfèrera se noyer quand son troisième mousse disparaîtra plutôt que se livrer au puritanisme victorien et à son jugement contre lequel tente de le protéger l’institutrice amoureuse miss Ellen. De ce drame où le peuple du village tient un rôle déterminant, Yoshi Oida a imaginé une lecture sobre et évocatrice, ponctuée par la bicoque de Grimes, sorte de leitmotiv visuel. Les jeux de lumières réglés par Lutz Deppe sur le panneau métallique en fond se scène suggèrent plus efficacement vagues et embruns que toute illustration réaliste tandis que le lego de containers fait plonger dans la rudesse des conditions de vie du port bien mieux que tout naturalisme. Si pour certains les costumes stéréotypés de la bonne société jurent dans un tel environnement, le hiatus trahit pourtant une réalité sociologique de l’époque : l’étanchéité des classes contre laquelle échoue Peter Grimes. Maintenant l’ambiguïté morale de celui-ci, la mise en scène ne prend pas parti quant au sort des enfants, visiblement un peu jeunes pour être apprentis – pour souligner l’innocence de ces fils illégitimes vendus au pêcheur en guise d’expiation ?
Mirages à l’orchestre
Du vaste plateau vocal à la mesure du nombre conséquent de personnages où l’on repère des artistes du chœur et des solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, se détache Michaela Kaune, Ellen Orford qui a les moyens de sa sensibilité nourrie de pitié – couleurs riches et nuancées. Rosalind Plowright excelle dans la bigoterie indiscrète de Mrs Sedley, veuve oisive pour qui « le crime est son affaire », tandis qu’Andrew Foster-Williams affirme un solide Balstrode. Si Alan Oke se montre crédible dans le rôle-titre, sa voix disgracieuse au-delà de ce qu’en rend nécessaire la psychologie le dessert cependant. Mais d’une partition qui fait un appel conséquent aux forces chorales – toujours préparées remarquablement par Alan Woodbridge – c’est d’abord la direction analytique de Kazushi Ono qui triomphe, équilibrant les pupitres avec une précision admirable. Sans jamais perdre en cohérence, le directeur musical de la phalange lyonnaise fait ressortir avec acuité la variété des styles de l’œuvre, parachevant ainsi cette résurrection de Peter Grimes. Avec Le Tour d’écrou et Curlew River, les festivaliers pourront suivre la décantation progressive de l’écriture de Britten, génial créateur d’atmosphères fascinantes et dérangeantes. On vous en reparle dans notre seconde chronique lyonnaise.
GL
Festival Britten, Opéra de Lyon, du 10 au 29 avril 2014, voir infos