Les Libanais-les « Suisses du Moyen Orient » n’avaient pas besoin de ça; après une guerre civile entre les différentes factions- chiites, sunnites, chrétiennes, Hezbollah et j’en passe-qui en a fait un terrain d’attentats meurtriers pendant quinze ans, l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 surnommée « the Blast » laissant encore des centaines d’immeubles ravagés, voilà ce 19 janvier 2021 le confinement dans la capitale libanaise avec le Covid-19 et …une tempête. Un temps de chien bien que ces derniers soient eux aussi visés par une interdiction de sortie, joyeusement transgressée par leur maître et surtout maîtresses. Entre check points policiers et magasins d’alimentation inaccessibles-on donne sa liste à l’entrée et on attend, enfin, si on a de quoi supporter l’inflation galopante (pour info les croquettes de chien sont au même prix qu’à Paris avec des salaires inférieurs à mille euros), Beyrouth ressemble à une ville fantôme bien loin de cet autre Tel Aviv qu’elle fut au vu des restaurants et bars modeux. Entre test PCR au départ et à l’arrivée, la réservation obligatoire dans les hôtels de la liste validée par l’Etat- majoritairement les hôtels des « copains » dont Le Sofitel Le Gabriel-le patron est un chrétien-ne fait pas partie; dès le transit via Istanbul, le ton est donné: on monte dans l’avion si on accepte d’être racketté comme ce couple franco-libanais obligé de prendre un hôtel pour cinq nuits en face de leur propre appartement dans le quartier central de Gemmayzeh.
Des check point à l’envi
On croise dans ce « Soho » de Beyrouth de rares voitures et des scooters ingénieusement équipés pour la pluie à rendre jaloux les deux roues parisiens, à condition d’avoir échappé à la surveillance des policiers qui vous ont « escorté » depuis l’aéroport. Du coup, les déplacements hors secteur sont assez périlleux comme d’aller voir l’hôpital Simon Harriri où les étages se transforment l’un après l’autre en « espace Covid »et une salle des urgences où l’on entend tousser beaucoup, les masques y semblent être un luxe même interdit aux internes. Car, Beyrouth manque de tout; les six cents respirateurs envoyés par les Emirats ont « disparu »-il y en a pour des millions d’euros- dans ce pays gangrené par une corruption palpable pour le moindre quidam un peu observateur. Dommage car la mer est là, démontée mais tiède et majestueuse sur cette plage de la Corniche néanmoins transformée en dépotoir comme Deauville un soir ensoleillé du mois d’août (sauf que dans le XXI ème arrondissement de Paris, la mairie veille au petit matin à tout nettoyer).
La « soupe populaire » n’a pas résisté au Covid
Double peine pour les moins bien lotis, les tentes de distribution alimentaire sont fermées aux nécessiteux-ils sont légion-avec des produits de première nécessité importés et donc hors de prix, cela y compris l’eau qui n’est ici pas potable- eh oui, comme à Dubaï, elle est de ce coté-ci de la Méditerranée un produit de luxe. Pauvres Libanais qui de Tripoli aux villes voisines de la Syrie découvrent la faim après des années de prospérité. Autant dire que la classe moyenne a été laminée- ceux qui le pouvaient sont partis rejoindre la diaspora des années de guerre civile- un million de personnes de 1975 à 1990 tandis que les autres profitent du moindre voyage pour rapporter médicaments-les pharmacies sont plus chères qu’à Paris- ou encore des bonbons Haribo comme cette jeune mère qui, en instance de divorce depuis deux ans, espère récupérer son fils quand il aura 12 ans. « La pire des combinaisons, me résume un français- être sunnite et mariée à un chiite » qui contrôlent « passablement » le pays, entre scandale de la Banque du Liban en Suisse et rumeurs sur l’explosion du port- aux dernières nouvelles à mettre au crédit des Syriens. Le Liban en a accueilli bon an mal an 1,5 million de réfugiés qui s’ajoutent aux 300 000 réfugiés palestiniens. Une situation que l’on peut qualifier de « pas évidente du tout » qui laisse planer l’ombre d’une nouvelle guerre civile dans ce pays francophone où la bienveillance, matinée de fierté, des Libanais est des plus remarquables avec, cette idée que ce sont ceux qui manquent de tout qui donnent le plus, comme ce concierge de nuit de l’hôtel (dont je ne citerai pas le nom qu’il ne soit pas « embêté ») qui m’a servi de chauffeur et de guide une journée durant, refusant tout billet de 50 000 livres- le million fait à peine 100 dollars. « Revenez vite quand ça ira mieux » m’a-t’il dit en me déposant au petit matin à l’aéroport où un militaire fouilla allégrement ma lingerie les mains nues- souvenir impérissable et anecdotique mais qui me laissa en décollant, la même sensation que j’avais eu en quittant… Cuba.
Par Laetitia Monsacré