Je préfère faire la gueule, sourire c’est fatiguant. Jean Pierre Bacri ne fera plus la gueule; il ne sourira plus non plus. Car il savait faire les deux quoiqu’il en dise, de sa voix inimitable, marquant les accents toniques. Une voix de théâtre, une voix scandant son texte, mitraillant son interlocuteur comme pour le forcer à l’entendre et l’écouter-selon. Avec lui, on se sentait intelligent, en tous les cas essayait-on de l’être. Bacri, c’était l’exigence, vis à vis de lui et en conséquence des autres. Avec Agnès Jaoui, autant dire que ces deux là s’étaient trouvés. Et tant pis s’ils s’étaient séparés vingt cinq ans plus tard- un très long bail. A l’image, ils resteront ce couple solaire où chacun rendait l’autre meilleur; loin de la fusion, c’était d’élévation qu’il s’agissait- d’égal à égal. On pense à Beauvoir et Sartre, à Signoret et Montand.
Les Jabac
1992, Jean-Pierre Bacri, né en Algérie quarante et un ans plus tôt, écrit avec Agnès Jaoui, rencontrée en 1987, la pièce de théâtre Cuisine et Dépendances– un premier Molière les sacre comme le public, déjà au rendez-vous. L’adaptation de la pièce au cinéma film révèlera Catherine Frot et son joli « collier pour chien ». S’ensuivent en 1994 le scénario à quatre mains de Smoking/non smoking d’Alain Resnais et un César. Un autre arrive en 1996 pour Un Air de famille que signe Jabac comme les surnomme leur ami pour très longtemps, Alain Resnais. Car, ces deux-là sont fidèles, à eux-mêmes et aux autres tout comme à leur public auquel ils offriront leur plume douce-amer qui fera leur bonheur et le nôtre. De On connait la chanson à Place publique, pendant plus de dix ans, ils s’amuseront de nos travers, de nos bassesses de leurs dialogues étincelants et leur jeu au naturel confondant.
69 ans et puis s’en va
En 2015, Jean-Pierre Bacri sera, par la grâce du réalisateur Michel Leclerc ( Le nom des gens et plusieurs épisodes hilarants de Fais-pas ci/Fais-pas ça), Monsieur Sim, pathétique à en devenir magnifique VRP de brosse à dents qui sillonne la France avec son GPS- une adaptation au cordeau du livre La vie privée de Monsieur Sim de Jonathan Coe. « J’ai réalisé que si je mourrais subitement d’une crise cardiaque, cela ne boulverserait pas grand monde » s’en attristait son personnage. Six ans plus tard, c’est une longeu maladie comme l’on dit qui l’a emporté. Et rassures-toi, Jean-Pierre, nous en sommes tous bouleversés.
Par Laetitia Monsacré