A la tête du Los Angeles Philharmonic Orchestra depuis dix ans, Gustavo Dudamel, l’un des plus brillants fruits du programme El Sistema, défend une programmation à l’image d’une métropole cosmopolite, aux allures de carrefour des deux Amériques – la moitié de la population est hispanique – avec un engagement salutaire en faveur de la création contemporaine, sans préjugés esthétiques, et inscrite au cœur même du répertoire de la formation californienne, qui célèbre son centième anniversaire. L’ouverture de la saison 2019-2020 en témoigne. Après un premier rendez-vous sous le signe d’icônes des Etats-Unis du vingtième siècle – Barber, Gershwin et Copland, ainsi que Previn –, le chef vénézuélien propose un panorama haut en couleurs et en rythmes de la musique américaine, du sud au nord.
La soirée s’ouvre sur la Sinfonia India de Carlos Chavez, compositeur mexicain qui a intégré dans son écriture les racines amérindiennes de son pays. Sorte d’étourdissant perpetuum mobile, la partition, créée en 1936 et donnée pour la première fois à Los Angeles en 1952, se développe autour de savoureuses variations de quelques cellules thématiques. La direction pêchue soutient une pièce vivifiante qui n’oublie pas un solide sens de l’architecture formelle. Rien de contraignant cependant dans une trame qui reste toujours fluide : elle sert d’abord à mettre en avant la variété des timbres et des alchimies orchestrales, façonnant des vignettes sonores contrastées riches d’expression, où l’on retient, entre autres, les accents presque rituels de la danse ponctuée par le xylophone.
Une création étourdissante de virtuosité et de générosité
Ecrit en 2011, le Concerto pour piano « Universos infinitos » d’Esteban Benzecry, Portugais de racines argentines – où il a grandi – qui vit désormais en France, connaît sa première mondiale sous les doigts de Sergio Tiempo. A rebours des austérités d’avant-garde, l’oeuvre déploie une irrésistible générosité mélodique et rythmique, portée par une éblouissante virtuosité, dans une belle émulation entre soliste et orchestre. Initié par une fanfare et des arpèges, le premier mouvement semble aller sans cesse de l’avant, comme une marche allègre et vigoureuse, mâtinée de pulsations jazzy et d’effets cinétiques, déboulant vers des clusters conclusifs. Parenthèse plus intérieure aux tonalités de nocturne, la séquence centrale dévoile une poésie chaleureuse, sans sentimentalisme, avant de revenir à l’éclat du clavier dans le tourbillon d’un finale sans temps mort. Une démonstration technique inspirée qui a conquis le public.
Après l’entracte, où les spectateurs peuvent déambuler sur les terrasses-jardins du Walt Disney Hall baignées par la tiédeur nocturne, retentit le patriotique motif de la Fanfare for a common man, que Copland a imaginée au cœur de la Seconde Guerre Mondiale, en 1943, et qu’il réutilisera dans sa Troisième Symphonie. Les cuivres angelinos donnent toute la mesure de la vaillance héroïque, sans céder au monolithisme, ni timidité en termes de décibels cependant. La même année, le Los Angeles Philharmonic faisait entendre des extraits de la fresque Rodeo du même Copland, précédent et pendant du postérieur et urbain West Side story de Bernstein, où l’on goûte les stéréotypes de l’Amérique traditionnelle des grands espaces, avec un sens narratif pimenté d’humour qui n’échappe ni aux musiciens, ni à Dudamel – ni aux mélomanes. Un début de saison sans frontières !
Par Gilles Charlassier
LA Philharmonic, Los Angeles, octobre 2019