Un musée presque sur invitation… et l’assurance en week-end de ne pas se marcher sur les pieds. Voilà ce qu’offrent les Fondations Pierre Bergé et Mona Bismark, situées non loin l’une de l’autre dans ces grand hôtels particuliers du 8ème arrondissement que d’aucuns nomment triangle d’or. Dans la première, c’est pourtant un voyage dans le 6eme arrondissement reconstitué pour l’occasion qui vous attend, ce Saint Germain des Près où jadis, les librairies pullulaient comme rue de l’Odéon où au 7 se tenait « La maison des amis des livres »d’Adrienne Monnier tandis que juste en face, au 12, Sylvia Beach régnait chez Shakespeare & co. C’est là que le 5 mars 1939, les photos de Gisèle Freund furent projetées pour la première fois dans un joyeux bordel-on avait loué des chaises et planqué les livres (certains écrivains avaient la main kleptomane) devant Paul Valéry, Gide-qui y lu des extraits de ces Nourritures Terrestres, Aragon, Eluard, Claudel, Breton, Joyce sur un drap blanc.
Une pionnière pleine de curiosité
Inconnue à l’époque, elle était la fille d’un collectionneur au gout très sur, dont elle garda une photo sur sa table de nuit toute sa vie. L’Allemagne devenant nazie l’avait fait fuir en 1933 à Paris où ses débuts furent cahotiques au point de songer à abandonner la photographie. Mais le destin veillait et dès 1935 sa rencontre avec Malraux, Adrienne Monnier et Sylvia Beach lui permettra de devenir la photographe attitrée de tous les écrivains de l’époque. Son secret? Les lire et leur parler d’eux…De quoi leur plaire de prime abord et les mettre en confiance, ce qui n’était pas gagné au vu de l’introspection de la plupart.
Et mettre grâce à ses photos un visage sur tous ces noms aujourd’hui ô combien illustres; Jean Giono et son visage rond, Montherlant, tourmenté, Aragon, l’oeil rieur, James Joyce, pensif ou pris à la façon d’un paparazzi, sortant de sa voiture rue de l’Odéon. Puis, Gisèle passa à la couleur, présentée dans la troisième salle de l’exposition. Colette dans son lit-son bureau- avec son regard acéré qui plonge en vous, Valéry photographié à sa table de travail, Michaux, Cocteau, Sweig, Breton et sa pipe, Virginia Wolf avec son chien qui, tout comme Sartre ou Duhamel a choisi de ne pas regarder l’objectif. D’autres se mettent en scène avec des accessoires comme Cocteau-très surréaliste- photographié sous une enseigne de gantier ou bien avec leurs mains mises en valeur comme Mauriac, Gide, Elsa Triollet ou Walter Benjamin. Aucun à l’exception de Marie Bonaparte, Louis Aragon ou Sylvia Beach ne sourit. Dans une petite salle vidéo, on apprend que tous trouvaient ces photos magnifiques, à l’exception de celle qu’elle avait faite d’eux! Et qu’elle ne photographiait que ceux qu’elle aimait. En somme une vraie artiste…
Le talent en héritage
D’artiste ou plutôt de famille d’artistes, il est aussi question dans l’ancienne demeure de Mona Bismark, riche mécène et amoureuse de Paris, située quai Kennedy. Archi célèbres aux Etats-Unis, c’est la première fois que les Wyeth débarquent à Paris dans ce ravissant musée, à taille humaine, pour une superbe exposition où l’on découvre leur sens du dessin, des couleurs- un héritage artistique qui se transmet de père en fils. Premier de la lignée , le grand père N.C. Wyeth, mort accidentellement à 63 ans, fut un illustrateur de génie, inventant presque l’image animée tant ses peintures comme celles de Robinson Crusoé ou de marines débarquant sur une plage étaient pleines d’énergie, de mouvement. La voiture postale, les indiens Navajos, c’est toute l’Amérique des grandes plaines à laquelle il rendit hommage avec des illustrations à l’huile qui racontent toutes une histoire. Puis son fils, Andrew qui apprit la peinture dès ses quinze ans dans l’atelier de son père, s’impose dans une seconde salle, avec ses aquarelles et dessins. S’y ajoutent des techniques innovantes comme le brossage à sec sur papier ou la détrempe à l’oeuf, tout cela avec une rare virtuosité offrant une palette de couleurs sépia, presqu’éteintes, magnifiant cette Nouvelle Angleterre chic et bien pensante dans la tradition du réalisme américain, avec chez lui aussi un hommage rendu aux indiens.
Chacun son style
Les portraits sont emplis de mélancolie, le regard dans le vague.« Je pense qu’il faut utiliser ses yeux autant que ses émotions. Ils ne fonctionneraient pas l’un sans l’autre. « Les peintures témoignent d’elle même de sa réussite comme celle du « drifter », le vagabond ou ces homeless, témoignage troublant de son talent.
Enfin, le petit fils, Jamie, née en 1946 qui utilisa non pas l’atelier de son père mort en 2009 mais celui de sa tante Caroline tout en étudiant la morphologie à la morgue de l’hôpital municipal de New York. Il fut aussi dessinateur judiciaire pendant le procès du Watergate. Et, s’attache à peindre des animaux-il avoue une obsession pour les mouettes- des scènes de patriotisme comme les pompiers dans les ruines du World Trade Center ou des portraits remarquables comme celui de Kennedy, au regard à la fois habité et absent mais aussi de Noureev, avec sa chapka dont la fourrure semble réelle ou de son père, absolument magnifique. Warhol est également présent avec une huile sur panneau de carton à la » Sargent « ( peintre américain, référent absolu en matière de portrait de pied), avec son teckel entre les mains. Et le moins que l’on puisse dire , c’est que lui aussi a su créer son propre style avec des couleurs vives et un brin de surréalisme par rapport à ses ainés, utilisant notamment des matériaux propres comme le carton, séduit par sa couleur et texture. Reste que lorsque l’on voit son Noureev en plein mouvement de danse, on est frappé de voir à quel point l’héritage de son grand père est là, incarné. Et c’est ainsi chose remarquable que, dans cette famille, chacun sut exister sans reproduire ni se sentir devoir s’affranchir dans la force de son père pour créer sa propre vision, laquelle constitue une magnifique exposition à ne pas manquer.
Par Laetitia Monsacré