Le théâtre contemporain n’est pas avare de surprise. Pour le meilleur ou pour le pire, il emprunte un chemin capricieux que les dramaturges balisent ça et là, de leur plume inattendue. À cet égard, Existence d’Edward Bond est exemplaire. Il s’agit moins d’une pièce de théâtre que d’une expérience humaine et artistique. Elle met le spectateur dans une situation inédite en le faisant assister de l’intérieur à un cambriolage échoué. X est le personnage qui pénètre brutalement dans un appartement en fracturant la porte. Cela se déroule dans une obscurité angoissante, dans un silence pesant que le souffle rapide de X et les bruits relatifs à l’effraction entrecoupent. On entend X procéder à une fouille inquisitrice quand un autre personnage intervient. C’est l’occupant de la chambre qui était resté là, à l’observer, plongé dans le noir. Une courte lutte se fait entendre. L’occupant est maîtrisé par le cambrioleur et ligoté à une chaise. C’est alors que s’ouvre un dialogue entre les deux hommes. Un dialogue de sourds, ou plutôt, un dialogue de muets…
L’impossibilité de dire, l’impossibilité de vivre
L’écriture d’Edward Bond est concise, ramassée, voire décousue. X – le cambrioleur, alimente son discours de manière sporadique dans un débit expéditif, de sorte que ses phrases s’arrêtent avant d’énoncer ce qu’elles ont à dire. C’est la parole dépouillée d’un homme démuni, à bout, à l’extrémité de sa vie. Face à lui, le cambriolé se fait spectateur de son propre cambriolage. Il écoute son agresseur désespéré et semble le comprendre sans prononcer un seul mot. Tout le poids du texte, lourd du sentiment d’impossibilité de vivre parmi les hommes, repose sur les épaules du jeune comédien Benjamin Jungers. Il incarne avec talent et sobriété cet être qui n’a pas sa place ici-bas et qui agit à l’instinct, presque sans raison. On ne sort pas indemne de cette expérience. L’éclairage « radical » choisi par le metteur en scène Christian Benedetti consiste en un rai de lumière que la silhouette des deux hommes traverse partiellement. Il instaure une atmosphère étrange qui efface presque la distance entre les acteurs et le public. C’est d’ailleurs dans le but d’établir ce cadre intime que fut créé le Studio-théâtre par la Comédie-Française dans la galerie du Louvre. Existence y trouve là une scène à sa mesure où résonnent les mots âpres d’une humanité déphasée. Un spectacle à aller voir les yeux fermés…
par Romain Breton
Existence d’Edward Bond, par la Comédie Française, au Studio-Théâtre jusqu’au 28 avril.