En plein confinement privant la France et l’Europe entière de ses musées, si l’envie vous vient d’aller dans voir un sublime christ montrant ses blessures en bois du XVème siècle avec sa couronne d’épines à pleurer d’émotion, un Napoléon chevauchant en pleine conquête ou un Rodin-eh, oui nous n’en avons pas tous un dans le salon comme ce cher Jean (je ne donnerai pas son nom de famille, il m’en voudrait), le Louvre d’Abu Dabhi est pour vous. Situé sur une presqu’île non loin du très américain centre ville, y assister au coucher du soleil à travers ses multiples baies imaginées par l’ architecte du plateau (les trois galeries étant de plein pied), Jean Nouvel, donnant sur la mer puis à l’éclairage des milliers d’étoiles de son dôme la nuit tombée vaut à elle-seule (surtout?) le voyage dans les Émirats Unis, à condition d’avoir fait les deux tests PCR-au départ, et à l’arrivée; vous n’aurez de toutes les façons pas le choix, ici on montre patte blanche dès le parcage dans un hangar à l’aéroport à Dubaï ou à la frontière routière- et pas seulement sa carte visa Platinum. Après avoir failli tomber en panne d’essence au pays du pétrole ce qui valu un détour à Sheik city, le musée s’offre aux yeux (à condition d’avoir réservé sa plage horaire) surtout lorsque c’est bientôt la fermeture très « élective »- 17heures. C’est donc dans un musée quasiment privé que, masque sur le nez, on déambule dans les trois galeries, de l’Egypte des pharaons à l’art contemporain en passant par le mobilier XVI ème siècle en France ou une toile de Mondrian. La rareté fait la richesse; nulle salle à n’en plus finir ou des kilomètres à parcourir pour changer de siècle comme chez le grand frère parisien, ici tout se donne à voir l’espace d’une visite prévue en vingt minutes, mais laquelle! De Napoléon caracolant et triomphant à La Censure de Magritte montrant une femme occidentale s’écriant à la lecture d’un livre- les choix des toiles mais également des sculptures sont d’une justesse infinie pour que la culture retrouve son essence même: être le pont entre les différentes cultures et religions, du Christianisme à l’Islam- une magnifique et solide passerelle tendue entre l’Orient et l’Occident. La mise en valeur de chaque oeuvre individualisée par un cartel rédigé en anglais et en arabe contribue à la réussite de la visite agrémentée par un bar-restaurant Fouquet’s dominant la baie et où le camembert égale le meilleur de Normandie. Le meilleur: voilà dans les trois premières salles « Premiers Villages » entre sculptures et poteries datant de 10 000 ans avant notre ère, lorsque le Proche Orient était bien en avance sur nous comme en témoignent ce que nous appelons l’art primitif, particulièrement mis en scène par un certain Jean Nouvel au Musée du Quai Branly. Une divinité protectrice en Asie Centrale datant de 2300 avant JC, des statuettes trouvées dans la vallée des rois du côté du Nil, les premiers royaumes se forment le long de L’Euphrate, du Fleuve jaune, de l’Indus ou du Tibre vers 3000 ans avant JC avec les premières armes et d’apparats tandis que le cheval ouvre de nouveaux horizons. Ecrire, compter, conter devient une occupation perenne que les Egyptiens diffusent en Mésopotamie puis en Chine du Nord; Gudea, Prince de Lagash en Iraq est immortalisé à jamais en granit alors que les Egyptiens célèbrent l’au delà comme un nouveau royaume entre sarcophages et urnes pour recueillir les viscères. Autant d’illustrations des « Premiers grand pouvoirs » avant « Civilisations et Empires » où les religions s’entrecroisent entre buddhas, Christ ou icônes orthodoxes. La fin de la visite se déroule dans un labyrinthe de fil tendu dont on sort avec une félicité à la mesure de la réussite que constitue ce petit morceau de France dans le monde musulman, bravo.
Par Laetitia Monsacré