« Toute la France s’est droitisée, le PS s’est droitisé, Hollande s’est droitisé, et vous, je ne veux pas vous insulter, mais vous vous êtes droitisé « . La langue de bois est chose bien étrangère aux écrivains, surtout lorsqu’ils ont l’âge de Jean d’Ormesson et se retrouvent, à la faveur d’une émission transformée en plan marketing, face au Premier Ministre auquel il semble ne plus manquer que la moustache, Manuel Valls. Déjà trois mois d’état d’urgence et voilà que l’on parle déjà de le prolonger, « tant que le problème avec Daech ne sera pas réglé » a osé répondre, le plus sérieusement du monde, Manuel Valls à une journaliste américaine l’interviewant à Davos.
Autant dire que l’on est pas sorti de l’auberge comme dirait l’autre. Et pourquoi se gêner est-on tenté d’ajouter lorsque, à l’exception du parti d’Emmanuelle Cosse et de quelques rares avocats des libertés publiques et individuelles facilement présentés comme des agités de la séparation des pouvoirs et de principes en déconnexion avec la menace terroriste, le landerneau médiatique accompagne paresseusement la démagogie de nos gouvernants, s’appuyant sur une approbation populaire massive. Et peu importe si les résultats attendus du dispositif – au demeurant fort discutables – sont désormais derrière nous, estiment les experts.
L’inversion de la courbe tactique
En fin tacticien, François Hollande a retenu la déchéance de nationalité pour les djihadistes, ou supposés tels, pour mieux couper l’herbe sous le pied de la droite et du Front National : chaparder les idées de ses adversaires, quoi de mieux en effet pour les diviser; vider leur besace, et rêver un second tour 2017 face à Marine Le Pen que le sursaut républicain maintiendrait bien en-deçà des 50%. Les mêmes intentions produisant, dans la chose politicienne, les mêmes effets, l’extension de l’état d’urgence jusqu’aux prochaines échéances électorales aurait au moins autant l’avantage de masquer l’échec économique en grimant le chef de guerre que de se mettre au diapason d’un peuple assoiffé d’autorité.
Destination sécurité
Sans doute sont-ce les vicissitudes de nos infantilisantes démocraties d’opinion, dispendieuses en campagnes et en sondages, qui seraient risibles si l’affermissement aussi continu qu’insidieux de l’état policier, au détriment de l’état de droit, ne rappelait de fâcheux précédents que la sélectivité mémorielle a vite fait de négliger. Dans une tribune publiée par Le Monde deux jours avant Noël, le philosophe Giorgio Agamben souligne combien l’état d’exception dont avait abusé la République de Weimar a tranquillement préparé le terreau à l’arrivée d’Hitler et l’instauration du Troisième Reich. Inutile de paraphraser Franklin – pour qui « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une, ni l’autre ». La Boétie, déjà, parlait de « servitude volontaire » à la Renaissance. Tandis que dans Le Grand Journal sur Canal, Rachid Arhab, en promotion de son dernier livre écrit à huit mains, témoignait de l’amalgame entre origines et religion qu’il a lui même vécu, citant un ministère où le melon au jambon de Parme servi au déjeuner lui avait été apporté sans jambon, parce qu’arabe devait forcément signifier pratique musulmane, les simplifications plébiscitées par le bronzage idéologique prospèrent chaque jour davantage, en même temps que les Services de Sécurité et leurs prérogatives d’arbitraire. A l’heure où l’Etat remet au goût du jour les vertus de la délation, le citoyen lamba aurait tort de s’en sentir à l’abri…