J’étais en Israël en septembre 2011 lorsque l’ affaire Lee Zeitouni a éclaté, cette Israélienne de 25 ans, fauchée et laissée morte au petit matin par deux français sortant de boite de nuit et qui se sont ensuite enfuis en prenant le premier avion pour Paris. Depuis, l’affaire a fait la une des médias en France, plus particulièrement depuis que Carla Bruni-Sarkozy a répondu à une lettre de la mère de Lee Zeitouni, qui lui demandait de l’aide. Les Israéliens à l’époque des faits ont alors exprimé leur indignation en étant des milliers à se rassembler pour l’enterrement de la jeune femme, au Kibboutz Neve Or. Mais très vite, l‘abattement et la tristesse ont laissé place au désir de justice. Dès le 21 septembre, 300 personnes se sont ainsi retrouvées devant l’ambassade de France à Tel-Aviv pour exiger que justice soit rendue. Christophe Bigot, représentant de l’Hexagone en Israël alla d’ailleurs à leur rencontre, leur assurant que « la France partage l’émotion de la famille et des proches devant cet acte honteux. »
Les comités de soutien se sont emparés aussi de la Toile en créant de nombreux groupes sur Facebook : « Wanted Eric Rubik and Claude Isaac Khayat » possède 1.592 « fans », et « Justice for Lee » 6.386 inscrits.
Pas d’accord d’extradition
En France, il a fallu néanmoins attendre la fin du mois de décembre pour que la presse s’empare du sujet et que l’on apprenne via la première dame de France, que «les autorités judiciaires françaises font le maximum pour que les investigations demandées soient effectuées sans délai, en liaison constante avec les autorités israéliennes ».
Derrière le message convenu, la lettre de Carla Bruni offre un autre discours : on comprend qu’il n’y aura pas d’extradition. C’est pourtant la principale revendication de la famille de Lee : voir les responsables de sa mort jugés, et si déclarés coupables, emprisonnés en Israël. Mais cette revendication semble impossible à mettre en œuvre. Tout d’abord car les deux pays n’ont signé entre eux d’accord d’extradition. Et ensuite, car la France et Israël ont pour usage de ne jamais extrader leurs nationaux. Une pratique que défend Me Françoise Cotta, avocate d’un des chauffards, Eric Robic. Selon elle, le jugement ne pourrait être équitable en Israël, du fait de la pression de la rue : « Il y a des manifestations régulièrement, ils sont menacés sur des blogs, on quitte le terrain de la légalité. » Le conducteur a même affirmé avoir reçu des menaces de morts par téléphone. « On ne demande pas l’impunité ! On demande juste qu’ils soient jugés en France et que leurs droits soient respectés », continue Françoise Cotta, affirmant que « si jamais ils sont extradés, il y aura des répercussions importantes, car il y a des dizaines et des dizaines de ressortissants français réfugiés en Israël pour échapper à la justice de leur pays, que ce soit dans l’Affaire du Sentier ou dans d’autres cas. »
Problème : les Français ne risquent pas la même peine en Israël et en France. Selon l’article 221-6-1 du code pénal (modifié le 17 mai 2011), un homicide involontaire commis par un automobiliste est puni de 7 ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende si le conducteur était en état d’ivresse, sous l’emprise de stupéfiants, en excès de vitesse supérieur à 50 km/h ou a commis un délit de fuite. La peine peut être portée à 10 ans et 150.000 euros d’amende si l’homicide a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées. En Israël, un homicide involontaire entraine une peine de 20 ans de prison, et un délit de fuite est puni de 14 ans, les deux peines n’étant, la plupart du temps, pas cumulables, comme nous l’a expliqué Me Ghislain Amsellem, confirmant une information du quotidien israélien Haaretz. La différence est difficile à avaler pour les proches de Lee Zeitouni.
« Renvoyez-nous les lâches »
Guidé par Roy Peled – le compagnon de Lee Zeitouni – un groupe de soutien s’évertue à croire que l’extradition est possible. Les manifestations se sont d’ailleurs multipliées depuis septembre. Sur les pancartes on peut lire des slogans en hébreux et même en français tels que « Renvoyez-nous les lâches » ou « Ne les laissez pas s’enfuir ». Bertrand Delanoë, en visite officielle, a d’ailleurs été interpellé à Haïfa par plusieurs dizaines de personnes, celles-ci perturbant son discours. Le comité de soutien a même interrompu le concert que Patrick Bruel donnait à Tel Aviv mercredi 28 décembre. En plein spectacle, ils ont brandi des panneaux sur lesquels était écrit « Justice pour Lee ». Certains d’entre eux avaient les mains peintes en rouge, symbole de la responsabilité des deux Français. Le personnel de sécurité a évacué les manifestants de la salle, mais le chanteur a demandé à parler avec eux en coulisses avant de retourner sur scène où il a dédicacé une de ses chansons à la mémoire de Lee Zeitouni. Cette interruption est un acte éminemment symbolique puisque Bruel est l’un des chanteurs les plus populaires en Israël, et que parmi les 2.000 personnes du public, la plupart étaient des Israéliens d’origine française ou des touristes.
« Le peuple d’Israël attend du gouvernement français qu’il arrête et livre ces criminels pour qu’ils soient jugés ici », expliquait Roy Peled à l’antenne de RMC le 30 décembre dernier, ajoutant : « Après leur crime odieux, ces deux hommes se sont enfuis dans un endroit où ils savaient qu’ils seraient en sécurité. Un Etat ne doit pas devenir un refuge pour les criminels, ça pourrait être très dangereux pour l’avenir. »
Lâches et libres
L’indignation de Roy Peled est justifiée par le comportement des Français. Dans un premier temps, Claude Khayat, le conducteur du 4X4, a ainsi expliqué à la télévision israélienne qu’il ne souhaite pas revenir en Israël pour ne pas « croupir vingt ans en prison ». Par la suite, ces propos seront atténués par les avocats. Me Françoise Cotta m’a ainsi expliqué que les deux Français avaient fui Israël pour être près de leur famille si jamais ils devaient être condamnés à une peine d’emprisonnement.
Pour l’heure, l’affaire est au point mort. Nathalie Becache, procureur de Créteil et chargé du dossier a saisi un juge d’instruction dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. Des enquêteurs israéliens sont venus en France puis sont repartis, sans avoir interrogés les deux Français, qui n’ont d’ailleurs jamais été entendus par la justice, selon Me Cotta. Il faudrait pour cela que les autorités israéliennes procèdent à « une dénonciation officielle aux fins de poursuite », en clair qu’Israël remette officiellement le dossier à la France, qui n’est pas habilité à se saisir d’une affaire qui n’a pas eu lieu sur son territoire. La situation reste donc pour l’heure dans l’impasse et les Français libres de leur mouvement. Claude Khayat a d’ailleurs été contrôlé à 156 km/h sur une autoroute du Var, dans le sud-est de la France le 30 décembre dernier. Il a payé son amende et a pu repartir librement.