Assis dans un Starbucks café plus très neuf, je regarde les Buicks, Audi et Mercedes défiler au ralenti dans une avenue surchargée. Les façades de verre des buildings environnants se renvoient cette lumière de l’hiver naissant que l’on devine derrière le toit de brume qui couvre la ville.
La plupart de mes voisins travaillent sur leur Mac, une tasse fumante posée sur le coin de la table à coté d’un paquet de cigarettes que l’on ira fumer dehors. Je capte des conversations, des bribes de vie, d’affaires, de coeur et d’histoires intimes qui, si elles diffèrent en terme de formes, de langages et de sons, se ressemblent d’un côté à l’autre de la planète.
Sur mon écran, quelques brèves, plusieurs fenêtres ouvertes, quelques photos et ces mots qui attendent un retour « Que penses tu des manifestations de soutien chinois aux insurgés de Wall Street ?»
En ingérant un liquide que seuls les américains peuvent appeler café sans se tordre de rire, je commence à répondre en pensant à cette maxime chinoise qui dit «regarder le monde du fond de son puits», j’imagine cet homme vivant dans le sombre, entouré de lignes courbes et droites et sa vision d’un monde dont il ne voit qu’une portion d’étoiles. Je me dis que l’écran que j’ai en face de moi est autant générateur d’ornières que d’émerveillement.
Si je regardais à l’instant Pékin du fond de mon puits je me dirais que tout va bien, que la Chine est heureuse puisqu’elle a pris les habits de la réussite, de cette réussite occidentale qui s’affiche en grosses lettres d’or sur tous les mall de luxe qui poussent aux quatre coins du pays. Si je regardais la Chine non pas d’un café pour la nouvelle middle-class Pékinoise mais de Paris ou de New York, j’aurais une autre vision des choses, plus politique, plus globale, plus «démocratique» mais tout aussi fausse.
« Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées jeudi dans le centre de la Chine en soutien aux manifestants qui dénoncent le monde de la finance dans plusieurs grandes villes américaines » a rapporté samedi la presse d’Etat.
En lisant cette dépêche, je me dis que l’information qui vient de Chine autant que la manière dont elle peut être interprétée par les médias occidentaux est souvent comme cette histoire de l’homme au fond de son puits-une question de point de vue.
Si je m’en tiens à une première mastication rapide avant de passer à la météo, mes amis Facebook et autres nouvelles du jour, je vais tagger cette information sous la bannière «extension des manifestations anti-capital» car je comprends que le mouvement des insurgés initié en Espagne fait des émules jusqu’en Chine populaire. Etonnant comme attendu au pays du communisme capitaliste…
Pourtant, dans la suite de la dépêche un adjectif attire mon attention, un adjectif qui ne cadre pas vraiment avec le concept de la grande fratrie internationale :
« Le capitalisme conduit droit à l’impasse », explique un jeune homme cité par le Global Times, un journal connu pour son nationalisme.
Qu’a exactement à voir le nationalisme chinois et «la grande révolution du peuple américain contre Wall Street» ?
Si l’information est souvent filtrée en Occident selon des schémas bien connus, elle est totalement contrôlée en Chine Populaire. Les médias, presse, télé et web confondus répondent à des règles, des directives quotidiennes si strictes que les internautes chinois ont appelé le ministère en charge de son contrôle « le Ministère de la Vérité Vraie».
Véritable organe de la voix du pays, ce ministère divulgue la réalité vue de Pékin en cadrant ce qui doit être mentionné, les faits que l’on doit mettre en avant et surtout ce dont on ne doit absolument pas parler. Ces bulletins sont d’ailleurs une grande source d’information lorsqu’ils glissent malencontreusement de la poubelle d’une rédaction au micro-blog d’un non initié…
Mais, revenons à la manifestation anti-wall street. Le fait, suffisamment rare pour être mentionné, qu’une manifestation soit relatée par un organe de presse officiel pourrait laisser penser que les autorités la cautionnent et que cette information est destinée à envoyer un message clair. Mais à qui ce message est-il destiné ?
Est ce un message que font passer les autorités chinoises aux autorités américaines dans les difficiles négociations sur la valeur Yuan/Dollar ? Est-ce un pied de nez à la crise financière majeure qui ébranle le monde occidental ou est ce un message qui raconte parce qu’il ne dit pas les tensions existantes entre une justification «communiste» oubliée, un peuple laissé de côté et une nomenklatura politico-économique qui se partage le gâteau ?
En fouillant un peu, je m’aperçois que la manifestation a d’abord été relayée sur un site ultra-nationaliste, conservateur et maoïste appelé Utopia, et seulement ensuite par le Global Time, qu’elle a rassemblé principalement des retraités et que les photos ne laissent pas la possibilité de connaitre le nombre réel de manifestants.
Autre fait intéressant, les photos diffusées ont rapidement été censurées par la voix de la vérité. Pas suffisamment vite néanmoins pour éviter qu’elles ne soient postées, postées et repostées sur Weibo, le twitter chinois. L’importance des réseaux sociaux (voir l’excellente prestation de Yang Lan sur TED) dans la diffusion des informations non officielles est certainement le fait le plus marquant de ces dernières années.
C’est ainsi que très loin d’un soutien aux insurgés de Wall Street, on peut aussi regarder cette manifestation comme une manifestation de défiance par rapport à la gouvernance toute capitalistiquement protégée du Parti. C’est aussi par ce point de vue, par cet angle d’interprétation, que l’adjectif nationalisme prend tout son sens. Il faut comprendre le sous-message des banderole : Communisme national versus Capitalisme International, courant ultra-conservateur versus les réformateurs, retraités qui peinent à joindre les deux-bouts versus les jeunes «fils et fille de» qui claquent l’argent de la corruption sans même prendre la peine de se cacher…
Le nombre d’émeutes en Chine est exponentiellement proportionnel à la croissance du pays, aux abus des fonctionnaires locaux et à l’absence des recours légaux. Principalement liées aux expropriations abusives, problèmes environnementaux et aux nombreux abus des fonctionnaires et de leurs rejetons, leur nombre est passé en quelques années de 38 000 à plus de 100 000 par an, en estimation basse comme de bien entendu…
Il faut bien prendre garde de ne pas plaquer une vision toute occidentale sur une réalité locale. Entre les conservateurs, les réformateurs et les multi-millionnaires nostalgiques (90% des millionnaires chinois sont liés d’une manière directe ou indirecte à un membre du parti), les tensions entre les différentes franges font rage. Ceux qui se revendiquent de Mao ne sont pas en marge. Le très puissant maire de Chengdu n’a t ‘il pas dernièrement ordonné de reprendre les chants de la révolution culturelle dans les écoles à titre commémoratif… Amusant de penser à la révolution culturelle sur fond de sac Vuitton.
A l’instar des caractères, l’information en Chine peut prendre de très nombreux sens qui s’additionnent sans s’exclure au rythme des enjeux et batailles en sous-main.
Pour terminer ce petit billet du bout du monde, j’espère avoir fait naître en vous une petite lumière qui s’allumera à chaque fois qu’une information viendra du pays du Milieu mais aussi d’ailleurs. Une petite voix qui se demandera comme le disait en rigolant une bonne amie spécialiste de la Chine : A qui profite le Crime ?