Le 31 décembre, le Harry’s Bar sera fermé; pas trop leur genre les cotillons. Et puis à 100 ans, on en a vu d’autres… comme ces mardis qui tous les quatre ans reviennent pour the Election day. Ce jour où celui qui est encore considéré comme le maître du monde, le Président des Etats-Unis est élu. Par les grands électeurs américains et par tous ceux, de nationalité US passés dans ce bar accueillant, où une urne recueille leurs votes. Et incroyable, le résultat a toujours été en conformité avec le scrutin national, y compris en 2000 lorsqu’Al Gore perdit contre Bush à l’issue de cette hallucinante semaine où l’on dû recompter les voix de la Floride… Ce mardi-là, la nuit fut plus longue que d’ordinaire et à l’aube, sans résultat. Mais le bar a des ressources depuis qu’en 1911, la légende raconte qu’il a été déménagé in extenso de New York et remonté rue Daunou. Outre les boiseries en acajou, et les barmen old school en blouse blanche, c’est ainsi tout un bout d’Amérique que l’on vient ici visiter, avec à la clé des cocktails à… tomber par terre, littéralement, comme le Pétrifiant, mélange d’une dizaine d’alcools. Il y a aussi l’ambiance comme ce soir d’anniversaire -100 ans et tous ses verres- où la très belle Isabelle MacElhone, veuve du petit-fils du fondateur Harry, et son fils qui a repris la maison, recevaient quantité de fidèles plus ou moins éméchés. Il faut dire qu’avec des cocktails où l’alcool est plus généreux que le jus l’accompagnant -ça change des whisky-Coca servis en boite- il y en avait plus d’un qui avait perdu son well- behaviour. Une jeune fille me raconta ainsi, horrifiée, que le personnage qui venait de me dire que jamais il n’avait vu une belle femme comme moi, venait de dire à son père: « Votre fille, je lui serrerais bien autre chose que la main… ». De son coté, Derec me raconta que le succès était toujours un malentendu et qu’un jour, un type lui avait dit « vous êtes plus drôle à la télé ». Autre people, Jean Charles de Castelbajac me montra sur son I-phone la Clio présidentielle qu’il venait de réaliser, avec des fauteuils Louis XVI en velours rouge à la place des traditionnelles banquettes. Côté cocktail, on avait le choix entre un bleu ou un orange, tout deux prompts à vous faire oublier où vous vous étiez garés…La maison ne fournissait d’ailleurs pas d’éthylotest, mais au sous-sol de quoi danser avec un orchestre jazzy.
Mais un peu d’histoire: bar entièrement pensé à l’origine pour les américains de passage, avec ses fanions d’universités américaines, ses cocktails et hot-dog à toute heure, c’est très vite les Hemingway, Scott Fitzgerald, Ian Flemming, Gershwin et autres stars qui sont venus user les coudes de leur vesten-même si le droit était souvent levé-au comptoir du Harry’s Bar ou leurs pantalons sur les banquettes rouges, bientôt rejoint par tous ceux qui sentaient que l’ambiance ici, eh bien on ne la trouvait pas ailleurs; ce coté relax et convivial que seuls les américains ont et que nous leur envions tant, plutôt coincés que nous sommes…héritiers de l’Ancien Monde où le White Lady crée en 1919, le Pick me up en 1923 et surtout le Bloody Mary crée en 1921 ont si tôt fait de nous apprendre à se lâcher. Alors ce lieu résiste contre vents et marées aux modes, endroit chic sans être snob, ni branché, ni poussiéreux, mais simplement un endroit de qualité, sans show off ni musique d’ambiance; certains y viennent toutes les semaines, d’autres une fois l’an, certains pour la première fois ou depuis 50 ans. Un homme m’a même affirmé qu’il y emmènerait ses enfants, une fois qu’ils seraient grands. Voilà sans doute le charme de la tradition -être dans le temps- celui qui passe, pas celui qui se montre, sans chercher autre chose qu’être là et offrir un lieu où l’on ne sera jamais déçu. C’est chose rare et remarquable, alors longue vie au Harry’s Bar, encore 100 ans comme ça et ça ira…
Par Matthieu Emanuel et Laetitia Monsacré
A lire Harry’s Bar, the Original, 1911-2011 éditions La Martinière.