La semaine dernière, Chen Wei, signataire de la Charte 08 appelant à des réformes démocratiques en Chine a été condamné à neuf ans de prison ferme. Il partagera désormais le sort de son collègue Liu Xiabo, prix Nobel de la paix et co-signataire de cet appel, emprisonné lui aussi jusqu’en 2020. Jusque là, rien de nouveau sous le drapeau du capitalisme rouge, car tout le monde sait que les dissidents y sont traités avec une douceur toute dictatoriale, surtout en ces périodes de fêtes où les condamnations pleuvent. Ce qui est intéressant dans ce jugement, c’est que Chen Wei a été condamné pour avoir diffusé 26 essais « incitant à la subversion du pouvoir de l’état“ , textes publiés sur des sites internet situés hors de Chine. Subversion donc, mais à l’étranger et sur internet. Parallèlement, le gouvernement local de Pékin a établi une loi imposant à tout micro-blogger de s’inscrire nominativement avant de pouvoir poster sur le réseau. En se donnant la possibilité de remonter jusqu’à une personne identifiée et potentiellement justiciable, les autorité se donnent les outils juridiques pour réprimer en toute légalité et espèrent ainsi instaurer une auto-censure qui fait déjà merveille dans les médias officiels.
Quand la rumeur cache la forêt
Cela fait quelques mois que les membres du parti ont fait part de leur volonté de mieux contrôler les posts afin d’éliminer les « rumeurs» qui troublent l’ordre public. Ces «rumeurs», qui circulent librement de portables en forums via weibo (le twitter chinois), concernent généralement les expropriations abusives, les affaires de corruption, de pollution et autres abus de pouvoir… Même si les censeurs sont rapides à ôter du net ces mots qui perturbent l’ordre public en racontant des faits avérés -on pourrait faire un inventaire à la Prévert des mots bannis sur le web chinois, les utilisateurs ont pris le pli. Dès qu’un post renferme des données censurables, il est immédiatement reposté par une longue, très longue chaîne de lecteurs. Du moins, suffisamment longtemps pour que la nouvelle fasse le tour de la Chine. Il fallait donc légiférer. Puisqu’il est impossible de fermer ces plateformes, fer de lance de la nouvelle high-tech chinoise, il est apparu plus simple de sanctionner l’anonymat. Cette décision, qui devrait s’étendre rapidement à l’ensemble de la Chine, a été suivie depuis par Shanghai, et, quelle coïncidence, Guangzhou -Canton, dont la province, le Guangdong, a été le théâtre de nombreuses émeutes populaires dont certaines sont parvenues jusqu’à nous- ouvriers en grève, villageois barricadés dans leur village…. Evénements qui tous ont été largement diffusés et commentés via smartphones interposés. Avec un pragmatisme auquel il est habitué, le gouvernement chinois semble avoir pris conscience de l’impact des nouvelles technologies de communication sur sa stabilité intérieure et son image internationale. Il est vrai qu’il y a quelques années, au temps ou seuls les médias étaient porteurs de diffusion, il suffisait de bloquer l’information en amont du système pour être tranquille. Maintenant c’est la source même qui diffuse directement l’information et la partage avec un réseau qui, de retwitt en retwitt, non seulement couvre l’ensemble du territoire mais finit toujours par toucher un journaliste étranger. Journalistes qui piochent de plus en plus leurs sources sur les micro-blogs. Impact national négatif et mauvais coup pour la face internationale d’un pays qui a décidé, millions de crédits à la clef, d’étendre sa zone d’influence culturelle.
De Tunis à Pékin, la menace d’un changement ?
Inflexible malgré l’utilisation de la force brute, utilisant les médias et les réseaux sociaux pour communiquer et obliger la communauté internationale à prendre parti, le Printemps Arabe fait peur aux autorités chinoises. Imaginez, un peuple qui renverse des autocrates, quelle idée ! Par son modus operandi, le Printemps à alerté les dirigeants chinois sur ces extraordinaires outils de communication- traduire par subversion pour la version chinoise que sont les réseaux sociaux et les messageries instantanées. Depuis, les officiels se sont aperçus que les affaires impliquant des malversations, dérapages des policiers, cadres et de leurs petits princes -les fils des cadres du Parti font florès sur la toile, textes et images à l’appui. Et les commentaires ne sont pas tendres, même si ce ne sont pour la plupart que des commentaires. A la chinoise, le gouvernement a pris le parti de ne pas traiter des causes, mais d’en prévenir les conséquences. Aussi, alors que les batailles de couloirs font rage pour la succession de Hu Jintao à la tête de l’état l’année prochaine, on enferme les dissidents, on resserre la vis de la propagande et, parce que l’on se sait jamais ou le vent peut tourner, on achète domaines et participations à l’étranger à tour de bras. A l’annonce de ces lois régissant les micro-blogs -au nombre de 17, l’action de Sina, principale plateforme de micro-blogs pour cols-blancs urbains et capitalisée à 3 milliards de dollars, a chuté de 11 %. On peut se demander comment la population et les marchés réagiront à ce contrôle de plus en plus serré et souvent incompréhensible -pendant la révolution de Jasmin, le mot «Jasmin» a été censuré sur le web chinois- de la vox populi ? On peut également se demander si le gouvernement chinois, en fermant toutes les soupapes de sécurité dans une conjoncture économique intérieure de plus en plus tendue, n’est pas en train de semer ce qu’il cherche si manifestement à éviter. A suivre.