Ça y est: avec 37 % d’augmentation de leurs salaires- ils partaient à 1,5$ de l’heure- les mineurs papous ont repris leur travail dans les mines Grasberg après trois mois de grève. Au total, 8000 de ses quelques 12 000 travailleurs avaient cessé le travail dans la cette exploitation aussi riche que reculée, dans la province la plus orientale de l’Indonésie: la Papouasie.
Perchée à 4000 mètres d’altitude, cette mine est la première productrice d’or au monde et elle occupe la troisième place en termes d’exploitation de cuivre. Sa production est évaluée à 4% de l’offre mondiale pour ces deux métaux. Rien d’étonnant donc à ce que les troubles qui secouent ce trésor à ciel ouvert, propriété à 90% du groupe américain Freeport McMoRan Copper & Gold aient joué à la hausse sur les cours mondiaux.
Des salaires ridicules
Ses travailleurs se sont mis en grève le 15 Septembre pour demander une augmentation de leurs salaires. Les mineurs ont revendiqué au début de la mobilisation des salaires horaires de 200$, jugés bien excessifs par la compagnie. S’en est suivie une période de troubles et de tensions, les mineurs en grève bloquant tout accès à la mine et ayant endommagé un pipeline. La compagnie américaine n’a pas été la seule victime puisque différentes répressions policières ont fait au minimum deux morts et une dizaine de blessés. Freeport, ne pouvant plus honorer ses commandes a du déclarer fin octobre un « cas de force majeure ». Cette grève représente donc des pertes abyssales pour la compagnie, estimées à 18 millions de dollars par jour depuis le mois d’octobre. Mais la colère des mineurs papous porte également un gros coup aux finances de l’état indonésien, qui reçoit chaque année près de deux milliards de dollars en taxes et royalties de la part de Freeport. La mine de Grasberg représente en fait la première source de revenus fiscaux pour le gouvernement de Jakarta. Ce qui explique que les forces indonésiennes aient eu tendance à se montrer plus que dures avec les grévistes et a fait de ce conflit salarial une véritable cristallisation de la difficile situation papoue, trop souvent ignorée.
Les papous, grands oubliés
Car si la grève de Grasberg a affolé les quotidiens économiques les plus éminents, on s’est très peu intéressé au contexte social et politique de cette mobilisation. Il règne un véritable flou médiatique sur ce territoire papou, appartenant à l’Indonésie mais entretenant une relation plus que difficile avec son état souverain. L’épisode de la mine Freeport ne montre que trop bien l’importance économique de la région pour le gouvernement de Jakarta et on en sait pourtant très peu à propos de cette province, en prise avec des enjeux économiques et identitaires déterminants.
Petit rappel géographique, la mine de Grasberg se trouve sur l’ile de la Nouvelle-Guinée, qui s’étend au Nord de l’Australie. Deuxième au monde par sa taille, cette île est actuellement divisée en deux parties distinctes, l’Ouest appartenant à l’Indonésie et l’Est, indépendant depuis 1975, formant l’état de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une division qui est le résultat direct de l’histoire coloniale, la partie occidentale ayant été sous contrôle néerlandais et la partie orientale sous tutelle australienne.Mais l’histoire de l’île remonte à bien avant l’époque coloniale. Jared Diamond, professeur à UCLA et célèbre environnementaliste estime dans son ouvrage Effondrement-Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie que « des populations vivent en autosuffisance en Nouvelle-Guinée depuis environ quarante-six mille ans ». Toujours d’après lui, une agriculture y a été mise au point voici plus de sept millénaires et perdure depuis malgré des conditions parfois hostiles, ce qui fait des populations papoues l’un des plus beaux exemples de gestion environnementale durable.
Le territoire papou
Le territoire papou est en fait habité par une multitude de peuples aux langues, aux identités bien différentes. Ceux-ci sont d’ailleurs d’origine mélanésienne bien plus qu’asiatique. La présence humaine pluri-millénaire et le relief accidenté de la Nouvelle-Guinée expliquent l’éclatement ethnique particulièrement fort qui caractérise cette île. Dans la seule partie indonésienne de la Papouasie, on dénombre plus de 300 ethnies différentes, parlant 240 dialectes… Le centre de l’île, particulièrement montagneux est l’une des zones les plus densément peuplées du territoire et n’a été mis en contact avec le reste du monde que très récemment. Les colons néerlandais puis australiens, arrivés sur les rivages de Nouvelle-Guinée dès la fin du 18e siècle mais repoussés par la densité des forets et l’inaccessibilité du relief s’attachèrent à l’idée que l’inhospitalier arrière-pays papou était inhabité. Ce n’est que dans les années 1930 que des expéditions minières et scientifiques permirent la découverte des peuples isolés de la Nouvelle-Guinée. L’exploration de cette région reculée ne se fit que très lentement et certaines tribus, comme les Korowaï ou les Momuna ont connu leur premier contact avec l’Occident il y a une vingtaine d’années seulement.
Une enjeu national pour l’Indonésie
Devant un isolement si prolongé et un patchwork de cultures sans bases communes avec le reste du pays, on pourrait se demander pourquoi les innombrables ehtnies papoues sont aujourd’hui sous la coupe du gouvernement indonésien. Alors que l’archipel proclama son indépendance en 1945, ce n’est qu’en 1962 que la partie Occidentale de la Nouvelle-Guinée revint à l’Indonésie. A l’origine, les Pays-Bas n’avaient pas l’attention de céder ce territoire et préparaient même la Papouasie à se gouverner seule. Mais Soekarno, le président de l’époque, fit du cas papou un véritable enjeu national, motivé par des raisons économiques évidentes et un besoin d’affirmer le tout jeune état indonésien. C’est sur un fond de guerre froide que la Papouasie devint indonésienne suite à une intervention militaire de la part du gouvernement de Jakarta: l’Indonésie était militairement soutenue par l’URSS; les USA, sur le point de s’embourber au Viet-Nam s’inquiètèrent d’un potentiel conflit et intervinrent après des Pays-Bas en faveur d’un gain de cause indonésien. C’est donc contraints qu’en 1962, les Hollandais abandonnèrent la Nouvelle Guinée Occidentale, qui allait devenir la Papouasie, vingt-sixième province indonésienne.
Une appartenance à l’état indonésien mal acceptée
Dès sa genèse, cette annexion fut hautement contestée par les populations papoues. Contraint par l’ONU et désireux de donner une légitimité à sa souveraineté, le gouvernement indonésien organisa en 1969, un référendum appelé sobrement l »Acte de libre choix » et ouvert à seulement un millier de représentants locaux. Le résultat fut bien sûr en faveur de l’intégration à l’état indonésien mais ce scrutin est encore dénoncé aujourd’hui. On sait maintenant que le vote des dignitaires papous aurait été contraint. Les années qui suivirent l’annexion forcée de la Papouasie demeurent une tâche sombre dans l’histoire indonésienne. La révolte gronda très vite sur le territoire papou et dès 1965 naquit l’OPM (Organisasi Papua Merdeka), mouvement indépendantiste toujours actif aujourd’hui. Très vite l’armée indonésienne montra sa détermination à mater toute velléité d’indépendance et différentes répressions firent des milliers de morts parmi les populations locales.
En une trentaine d’années, la population a finalement peu évolué. Les tensions ont même tendance à s’aiguiser puisque le gouvernement indonésien a pendant les trente dernières années encouragé une politique d’occupation du territoire papou, afin d’assurer sa souveraineté et d’optimiser l’exploitation des réserves. C’est ainsi qu’un flot de « transmigrants », venus de l’ensemble du territoire indonésien et payés par le gouvernement sont venus s’installer en Papouasie depuis les années 1970. Une cohabitation pas toujours facile puisque les autochtones voient souvent les arrivants de Java ou des autres îles de l’archipel comme de simples colons venus profiter des ressources. Cette cohabitation difficile ne fait qu’alimenter le climat de tension et la détermination des indépendantistes papous.
Des mouvements indépendantistes
L’OPM est aujourd’hui encore bien active et chacune de ses interventions est suivie d’une répression sévère. Il suffit de se pencher sur l’actualité des derniers mois pour se rendre compte que la situation est toujours critique. Le Jakarta Post nous apprend ainsi qu’en octobre, deux policiers indonésiens furent abattus par des séparatistes, les coupables rattrapés puis éliminés à leur tour. Le mois de Novembre a vu la tenue du 3ème congrès national papou à Abepura, une manifestation indépendantiste massive à Jayapura -la capitale de la province et l’anniversaire de l’OPM. Les trois rassemblements ont fini dans la répression et la violence avec des centaines d’arrestations et incarcérations et des blessés des deux côtés. A la connaissance de la situation papoue qui est loin d’être apaisée, il est donc difficile de n’analyser qu’en termes strictement économiques la longue grève qui paralyse la mine de Grasberg. En effet ce conflit salarial entre une firme américaine d’une part et les populations papoues de l’autre met en avant nombre des problématiques évoquées ci-dessus.
Un territoire qui vaut de l’or
Tout d’abord, ce conflit a illustré à merveille la principale raison pour laquelle l’Indonésie a toujours tenu à garder main basse sur le territoire papou: les réserves naturelles. Ce territoire regorge en effet de ressources miraculeuses en métaux par exemple. Si Grasberg est le fleuron de l’industrie minière en Papouasie, de nombreuses autres exploitations sont très rentables et la province ne semble pas avoir dévoilé tous ses atouts tant des pans entiers du territoire restent inexplorés. De plus, or et cuivre ne sont pas les seules mamelles de la Papouasie. Une grande partie de l’île est recouverte de forêts tropicales regorgeant d’essences précieuses. Les forêts papoues pourraient donc bien connaitre le même destin que celles déjà bien entamées de Sumatra et Bornéo. C’est cette richesse qui fait le malheur des indépendantistes papous. Au vu de ce que rapporte actuellement l’île à l’état indonésien et de ses réserves potentielles, il n’est que trop évident que ce ne sont pas des aspirations identitaires qui vont décider le gouvernement à abandonner cette lointaine province. Malgré une histoire, des origines ethniques totalement différentes, malgré une identité papoue très forte et en totale opposition à la culture indonésienne, malgré une remise en cause permanente de la souveraineté de Jakarta il ne semble que trop évident que la Papouasie ne sera pas indépendante de sitôt. Alors que la mine de Grasberg rapporte à elle seule deux milliards de dollars par an à l’Indonésie, quel poids donner à la dérisoire force de frappe de l’OPM ?
Des salaires bien inférieurs
Plus que l’importance économique de l’île, la longue grève à Freeport a mis en avant le rapport très contestable qu’entretient Jakarta avec les populations papoues. Les revendications des mineurs sont légitimes. 1,5$ de l’heure, c’est peu, a fortiori pour un travail pénible et effectué dans des conditions dénoncées comme déplorables depuis l’ouverture du site à la fin des années 1980. Mais surtout, les grévistes insistèrent sur le fait que les rémunérations des travailleurs de Grasberg sont bien inférieures à celles des mineurs des autres sites Freeport autour du monde, notamment ceux d’Amérique du Sud. Malgré la justesse des revendications, le gouvernement indonésien n’a rien fait dans le sens des grévistes, bien au contraire.
Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé que la moyenne indonésienne en Papouasie… Le Jakarta Post déplorait encore ces derniers jours que le sida s’y propage à vitesse grand V ou encore que le taux de mortalité infantile reste bien plus élevé qu’ailleurs dans le pays. De tels constats ne montrent que trop bien à quel point cette région est délaissée des pouvoirs publics. Les revenus de l’exploitation des ressources profitent bien plus au gouvernement indonésien qu’à la Papouasie elle-même. On sait ainsi qu’en 2005, sur le milliard de dollars que rapporta la mine Freeport à l’Indonésie, seuls 65 millions furent alloués à la province papoue…
Répression policière
Enfin, le climat de tension policière qui a caractérisé cette grève est représentatif de la tendance répressive de Jakarta vis à vis de toute revendication papoue. Les affrontements violents entre grévistes et police ont été fréquents durant les 3 mois écoulés. On déplore plusieurs dizaines de blessés et au moins deux morts dans les forces de l’ordre comme chez les manifestants. Cette agressivité latente et l’intolérance de l’armée comme de la police face aux mécontentements semblent malheureusement généralisées. Que ce soit à Freeport ou à l’occasion des revendications indépendantistes, la violence est omniprésente dans les relations entre l’état indonésien et ses populations papoues. Car, si cette grève aura bien amené les projecteurs médiatiques sur la mine géante des montagnes de Papouasie, le problème de fond qui marque cette île n’aura été que très peu abordé. Les ressources papoues continuent à être exploitées au détriment des populations, des vélleités d’indépendance justifiées continuent à être réprimées dans le sang et le gouvernement indonésien continue d’appliquer à un territoire qui lui appartient ce qui ressemble bel bien à une forme de colonialisme.