19 décembre 2011
Ma vie m’a sauvé la vie

« Un jour, le célèbre éditeur Inge Feltrinelli m’a demandé ce qui me poussait à écrire et j’ai répondu que je voulais faire bon usage de ma misère ».  Avec plus de soixante-dix pièces jouées dans trente langues et le lancement d’une nouvelle pièce à New York, Israël Horovitz l’a fait à foison. A 72 ans et l’allure encore jeune, il a eu ses démêlés avec Broadway, mais son travail poursuit sa route dans le monde entier avec des pièces à l’affiche plusieurs années de suite. Horovitz est le dramaturge américain les plus joué en France et est une figure de proue parmi une petite poignée de dramaturges talentueux dans le monde, attaché à contribuer à une forme d’art. Paris a été son deuxième port d’attache pendant de nombreuses années. Depuis la présentation de ses « Rats » à l’American Center à Paris en 1969, une cinquantaine de ses pièces ont été montées à Paris.  Son œuvre « le Premier » -titre original « Line »- a été une découverte majeure pour les parisiens en 1970, jouée dans la ville lumière pendant 11 ans. « Paris me nourrit totalement », a-t-il déclaré, appréciant autant la beauté physique de la ville que les contacts qu’il y a noués avec une multitude de gens talentueux.

Enfance douloureuse

C’est  juste avant la générale et le lancement le soir même de sa nouvelle pièce au Cherry Lane Theater, de Greenwich Village, et à l’occasion de la publication à Paris de ses mémoires « Un New-Yorkais à Paris » que G.Y. Dryansky, contributeur au Pariser lui a parlé.

De son enfance, il raconte : « J’ai grandi à Wakefield, au Massachusetts, au milieu de nulle part (en français dans le texte).  Mon père était camionneur, et je me suis construit une vie merveilleuse ».

Ses mémoires ? Elles ont en partie été écrites pour dire  que  » non, vous n’êtes pas sans ressource », à tous ceux qui veulent sortir de nulle part. Dans son cas, c’était non seulement une ville paumée, mais également l’endroit où il a vécu une enfance de cauchemar avec un père grossier et violent. Horovitz ne se qualifie cependant pas de misérable.  Sa misère fut pour lui un magasin de mémoire, une boîte à outils disponible pour façonner les visions de tragédie et d’angoisse, entrecoupées d’absurdité et de farce, représentatives de son œuvre. « Ma vie m’a sauvé la vie », déclare-t-il en citant Frank McCourt, devenu tardivement célèbre avec ses mémoires, « Les Cendres d’Angela », alors qu’il avait vécu lui aussi une enfance difficile.  Après des années de psychothérapie, Horovitz a ainsi pu se libérer de ses ressentiments et ne pas léguer ses blessures à ses cinq enfants.  Il a sublimé la souffrance personnelle en une vision aiguisée, mais néanmoins sympathique de la condition humaine.   Le couple qu’Israel Horovitz forme avec sa femme Gillian,  est très uni, et ses enfants, qui sont partout présents dans son livre, vivent eux aussi des vies réussies ; citons notamment la célèbre productrice de films, Rachael Horovitz.

A partir de son expérience dans sa ville natale,  Wakefield et de son père, devenu avocat après 50 ans, Horovitz transpose ainsi dans ses pièces la vie de ces petites bourgades et le destin des gens de « la classe ouvrière », une catégorie qui semble désormais hors du temps en cette époque où les chômeurs les ont remplacés.

Ne pas expliquer son oeuvre

Sa pièce, Gloucester Blue, dont la musique a été composée par son fils, Adam, membre du célèbre groupe Beastie Boys, débute sur deux gars en train de peindre le décor.  « L’un est l’amant de la femme de l’autre.  Cela parle de sexe, de vengeance et de meurtre. Très expérimental, très réel, avec des scènes qui ne sont pas vraiment réalistes. Il y a de la mélancolie, du sexe, et de la musique, qui devient un langage. »  Voilà à peu près tout ce que l’on peut tirer d’Horovitz lorsqu’on lui demande de décrire l’intrigue de l’une de ses pièces.  De quoi se souvenir du mot fameux de Sam Goldwyn, ce géant du cinéma, qui disait à ses scénaristes : « Si vous voulez faire passer un message, appelez Western Union. »  Horovitz, lui, cite Beckett : « Un auteur qui explique son œuvre, c’est comme un escargot qui explique sa coquille. »   Ainsi une pièce, selon la vision d’Horovitz, a- t’ elle une vie et une expression propre, et l’auteur ne dramatise pas les réponses aux questions de la vie : « Tout ce que l’on fait, c’est reposer les mêmes questions.  Si l’on se répète les questions de la vie, on se sent réconforté de savoir que l’on n’est pas seul avec ses angoisses. Que d’autres personnes ont la même angoisse, car c’est une angoisse humaine.  On traite d’un sujet car il y a quelque chose qui vous taraude à propos de la vie ; et je considère toujours que je ne suis pas si spécial et que s’il y a quelque chose qui me taraude suffisamment pour vouloir écrire sur le sujet, c’est que quelqu’un d’autre est perturbé par la même chose. »

Ne pas chercher à plaire

Il conclut : « Les histoires reviennent à la question majeure de « pourquoi suis-je en vie, pourquoi suis-je sur terre ?  »  C’est pour cela que l’art existe, parce que les gens font toujours cette quête.  Exprimé trivialement, ‘Quel est mon but sur terre ?’  C’est pour cela que nous fréquentons les musées, suivons des analyses et lisons des livres d’histoire. »

Ce parisien de coeur vit aujourd’hui dans une maison de ville à Greenwich Village -qui vaut probablement trente fois plus que le prix qu’il l’a payée dans les années 60, mais il déclare qu’il ne pense jamais à l’argent. Et évite le « théâtre commercial » personnifié par Broadway, où les touristes venus d’ailleurs se font une expérience de New-York.   « Il y aura toujours des gens qui essaieront d’écrire ce qu’ils pensent être ce que les gens veulent, et je pense que ce genre de théâtre entre dans cette catégorie ; il s’adresse à un marché, pas à une civilisation.   Et c’est quelque chose qui ne m’a jamais intéressé.  En vieillissant, je pense que ce qui intéresse le public n’est pas toujours dans l’intérêt du public. Parfois, il faut écrire exactement ce que les gens ne veulent pas, et il faut l’écrire suffisamment bien pour qu’au bout de deux heures ils aiment ce qui leur a été présenté. »

Sa nouvelle pièce ?« Quand j’étais jeune, j’écrivais des pièces qui mettaient les gens en contact direct avec les personnages qu’ils éviteraient comme la peste dans la vraie vie. C’est ce que je fais dans « Gloucester Blue ».  L’un des personnages est absolument odieux pour le public pendant un moment ; puis les spectateurs réalisent qu’il est le personnage le plus intelligent, le plus charismatique et le plus fascinant.  Mais il ne cesse d’être odieux.  Nous le voyons juste comme un être humain… »

Son téléphone sonne alors. Horovitz doit repartir rapidement pour assister à la « générale ». Puis, est-ce à la faveur d’une vision de son père et de sa ceinture en cuir, il conclue alors,  pensivement, et sans forfanterie : « J’aimerais que l’on se souvienne de moi en disant « c’était un artiste sérieux… », « un chouette type qui était gentil avec les autres ».

 

Par G.Y. Dryansky

« Un New-Yorkais à Paris » de Israel Horowitz chez Grasset

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