8 décembre 2011
L’ère du soupçon

 

Avec l’affaire Rama Yade, la question du plagiat est une fois encore revenue au cœur de l’actualité ; de quoi en faire un sujet en vogue comme en témoignent les nombreux articles publiés dans les journaux, les sites et les études universitaires qui lui sont consacrés. « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue », disait Giraudoux. Une œuvre ne naît jamais ex nihilo, elle se nourrit du travail des autres, elle est faite d’intertextualité, de transtextualité, nous ont appris Barthes et Gérard Genette dans « Figures » ou  « Palimpsestes ».

De nombreux auteurs, et non des moindres, en ont été accusés. Jacques Attali pour son « Histoire du temps » en 1982, Alain Minc en 1998 pour sa biographie romancée sur Spinoza, « Un roman juif », Marc Levy, disculpé, pour « Et si c’était vrai ? », Michel Houellebecq, accusé en 2010 d’avoir recopié une page de Wikipedia dans « La carte et le territoire »,   Thierry Ardisson en 1993 dont le roman « Pondichéry » paru chez Albin Michel a été retiré des ventes pour cause de plagiat, et plus récemment Patrick Poivre d’Arvor avec sa biographie d’Hemingway.

Sans parler du scandale qui frappe l’ancienne ministre de Sarkozy, avec son livre « Plaidoyer pour une instruction publique » publié chez Grasset et dénoncé avec force encore par le Petit journal le 28 novembre dernier. On y dénombre une quinzaine de « copier/coller » en tous genres, extraits d’articles du « Monde », du « Figaro », de la tribune de « Marianne », de blogs d’étudiants, de forums, et aussi des plagiats du philosophe Jean-Michel Muglioni. Réponse assez pathétique de l’accusée sur France 5 : « J’ai écris sans me faire aider, je fais tout de A à Z. » Un peu léger comme défense…

Déjà Montaigne

Joseph Macé-Scaron, journaliste et romancier, semble avoir des arguments plus convaincants. Il est accusé de plagiat pour son livre « Ticket d’entrée »,  de reprises non sourcées pour son roman : « Trébizonde avant l’oubli »,  ainsi que pour  « Le cavalier de la nuit », fortement inspiré de Victor Malka. Face à la tornade médiatique qui s’est abattue sur lui, il se défend aujourd’hui en invoquant la nécessité d’un débat sur la littérature aujourd’hui. »Avant, en littérature, quand il y avait un clin d’œil, on applaudissait, aujourd’hui on tombe à bras raccourcis sur l’auteur […]. Et les emprunts, cela devient un crime, un blasphème […] La littérature ne s’écrit pas ex nihilo, les auteurs se nourrissent les uns des autres et l’ont toujours fait. L’intertextualité, c’est un classique de la littérature, même si je n’ai pas la prétention de me mettre à la hauteur des grands auteurs. Il y a par exemple chez Montaigne 400 passages empruntés à Plutarque… » Argument également invoqué par Houellebecq.

Le concept de plagiat serait-il devenu obsolète, faut-il le considérer en tant que forme littéraire à part entière, est-il un mal nécessaire ? Certains auteurs et non des moindres citons Proust et ses « Pastiches et mélanges », Lautréamont ou Baudelaire y ont eu recours. Comme le souligne Charles Coustille : « la notion de plagiat n’appartient pas au Code de la propriété intellectuelle censé protéger les droits d’un auteur, c’est un terme que le juge laisse à la critique littéraire. » Qu’est-ce qu’une œuvre originale ? Quelle différence entre l’emprunt, la contrefaçon, l’imitation, l’intertextualité, le collage, la citation, le pastiche ? Comment distinguer la tricherie, de la trahison, de l’hommage ?

Flou juridique

Hélène Maurel-Indart, universitaire et auteur de deux ouvrages sur le sujet : « Du plagiat » chez Folio et « Plagiats, les coulisses de l’écriture » à La Différence , distingue deux catégories : « emprunt servile et emprunt créatif ». Et en ce sens, elle sépare ainsi deux types de plagiaires : « les conquérants » et « les mélancoliques ». Il ne s’agit pas de désigner un coupable, même si le plagiat constitue un délit, mais de trouver un moyen de définir et de circonscrire cette notion dont les contours demeurent malgré tout assez flous. « Pas de règle, chaque cas doit être jugé en fonction du contexte »précise-t-elle. « La jurisprudence fait loi. »

Une zone d’ombre pourtant nécessaire si l’on ne veut pas laisser ce débat aux mains d’experts et de contrôleurs patentés. Certains chercheurs vont jusqu’à imaginer un logiciel de contrôle et d’analyse textuelle, permettant de détecter l’unicité d’un style selon des paramètres linguistiques. Un programme qui fait frémir !

La question du plagiat dépasse de loin le débat de spécialistes, linguistes et juristes confondus, car il concerne tout le monde : éditeurs, auteurs et lecteurs. Il relève avant tout de la  « déontologie littéraire ». Pas étonnant que des écrivains, comme Marie Darrieussecq, soient montés au créneau pour débattre du sujet, car il en va de l’avenir du statut de l’écrivain, désormais soumis au soupçon. Rappelons-nous la leçon de Kant : toute esthétique se fonde sur une éthique. À méditer.

Par Anouchka D’Anna

Articles similaires

Mots clés : ,