C’est vendredi 25 novembre qu’est sorti “The Artist” sur les écrans américains. Une date pas super « bankable » pour lancer un film: c’était en effet Black Friday, journée de soldes monstres aux États-Unis, autant dire un pic de consommation dans tout le pays. Dès le petit matin, les rues de New York étaient noires de monde, il y avait la queue partout. Devant les magasins- pas devant les cinémas. Donc choisir ce lendemain de Thanksgiving paraissait bien étrange, voire risqué pour le distributeur américain Weinstein Compagny. Black Friday qui devient black-and-white Friday? Une invitation en tous cas pour laisser souffler sa carte bancaire et se laisser gagner par la poésie du film de Michel Hazanavicius. Cent vingt personnes ont répondu à l’invitation dès 10h30, au célèbre Paris Theatre- cinéma new-yorkais spécialisé dans les films français comme son nom l’indique- sur la 58e rue, au pied de Central Park. Son manager, Scott Lander, semble aux anges. “Jamais vu autant de monde pour la première séance de la journée!” s’exclame-t’il. Dans la file d’attente, Sylvia, petite dame aux yeux de chat, qui vient de fêter ses 90 ans-génération du muet–commente “Mon père m’a emmené voir mon premier film au Radio City Hall en 1929. Le cinéma était alors un endroit très élégant et le ticket coûtait 99 cents”. Sylvia s’est assise au centre de la salle sombre. Elle voulait être bien placée pour découvrir l’histoire sans parole de George Valentin, star du muet qui n’a pas voulu prendre le tournant du parlant-magistralement interprété par Jean Dujardin. Sylvia sort, enchantée. “L’esprit du muet est là, c’est incroyable!”. “Il méritait son prix d’interprétation à Cannes, et il méritera l’oscar du meilleur acteur”, ajoute de son côté Debbie, cinéphile de l’Upper East Side. Jean Dujardin avouait, il y a dix jours dans le New York Times, être soulagé de ne pas être connu aux États-Unis car les spectateurs pouvaient ainsi le juger sur sa seule performance. Il ne soupçonnait pas l’effet de surprise que son interprétation pouvait produire sur ceux, qui, comme moi, ont quitté la France à l’époque d’ »Un Gars, une Fille”. Quel parcours depuis! À la sortie du cinéma, tous semblent conquis par le talent de l’acteur et l’audace du réalisateur. Pour les plus jeunes, le charme semble avoir aussi agi. “Mon fils de 15 ans a découvert la force des silences pour exprimer les sentiments”, explique Peter, de Brooklyn. Un autre adolescent sort de la salle en pianotant sur son Iphone. “Les premiers tweets, on les trouve dans les films muets!” lance-t’il, pas mécontent de sa trouvaille. Les intertitres… 140 caractères, pas plus. Pourquoi pas…
Les médias américains ont, eux, pleibiscité le film, “plaisir sans honte, les oscars ne devraient pas résister” pour le New Yorker, “pure magie du début à la fin” selon Mark Rabinowitz de CNN. Le New York Film Critics Circle, qui regroupe les journalistes critiques de presse écrite, vient par ailleurs d’élire “The Artist” meilleur film et Michel Hazanavicius, meilleur réalisateur. A moins de trois mois de la cérémonie des oscars, c’est prometteur. Et le box office de confirmer: 210.414 dollars de recettes enregistrées sur les trois premiers jours, un excellent début pour une distribution ultra confidentielle; le film a été projeté dans seulement quatre salles -deux à New York et deux à Los Angeles puis bientôt San Francisco. À Noël, 250 cinémas distribueront le film français. Voilà qui promet un Happy black-and-white Christmas!