2 février 2025
Le quatrième mur, le choc frontal de l’année

Une voiture avance sur une route, en plan large. Très vite, on devine que l’on est de l’autre côté de la Méditerranée; nulle végétation, que des cailloux et un immeuble planté là, comme une anomalie. Un écart à la normalité qui préfigure tout le film Le quatrième mur de David Oelhoffen, adapté du livre éponyme de Sorj Chalandon, ancien reporter de guerre, devenu un remarquable romancier tout en continuant à écrire dans Le Canard Enchaîné. Quoi de plus anormal, en effet, qu’une guerre qui s’abat sur un pays, à fortiori le Liban, surnommée la « Suisse » du Moyen Orient? Et que dire de Guillaume, ce metteur en scène français, Laurent Laffite, renversant, qui débarque en 1982, en pleine guerre civile-« Le Liban qui tire sur le Liban »- pour tenir une promesse: monter la pièce de Jean Anouilh, Antigone, avec des acteurs de toutes les confessions, druze, chrétien, chiite plus une Palestinienne et une Arménienne. La tragédie est en place. Guillaume va devoir renoncer à ses idéaux-la culture plus forte que tout- et de pouvoir « soulager sa conscience » d’occidental- à l’économie. Venu en « spectateur », comme ceux dans la salle de cinéma, rien ne lui sera épargné; la peur omniprésente dans Beyrouth devenue une ville fantôme où des hommes en armes sont partout, visibles ou invisibles; l’absurdité oppressante des checks points avec pour chaque zone, son laisser-passer et les vies qu’on ôte en récitant un poème de Victor Hugo.

De la Grèce antique à Chatila

Les personnages inventés par Anouilh deviennent des otages fictifs, objets de négociations interminables entre des acteurs soumis à leur communauté respective. Pas question pour les chrétiens de jouer les seconds rôles, impossible pour cette femme chiite de se suicider sur scène, les répétitions vont dans le mur jusqu’à ce que bâtiment lui même explose. La fiction devient la réalité, Antigone, « celle qui dit non », jouée par une Palestinienne, mourra, non pas sur l’ordre du roi Créon, mais violée et égorgée, avec toute sa famille, dans le massacre bien réel des camps de Sabra et Chatila. Comme en 2024, les Isréaliens bombarderont Beyrouth, semant la terreur et la mort chez les civils, tout en étant, à l’époque, les complices des chrétiens, avec un objectif, à nouveau d’actualité: décimer les Palestiniens. Comme dans la pièce de théâtre, la mort sera la grande victorieuse de ce film dont on sort en état de choc, témoin d’une tragédie dans laquelle les acteurs ne se relèvent pas, à la fin, pour venir saluer.

LM

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