27 septembre 2024
Siegfried à La Monnaie ou les symboles wagnériens selon Pierre Audi

 

Après un Or du Rhin qui résumait le meilleur du génie de Romeo Castellucci dans l’incarnation plastique des symboles, et une Walkyrie plus laborieuse visuellement, le Ring du metteur en scène italien à La Monnaie de Bruxelles a dû être interrropu pour des questions budgétaires – il y aurait entre autres une question de coût d’un film. Le cycle wagnérien des deux dernières saisons de Peter de Caluwe n’allait pas pour autant rester inachevé, et le relais est passé à Pierre Audi, pendant trois décennies directeur de l’Opéra d’Amsterdam où il donna la première Tétralogie aux Pays-Bas.

Avec quelques images vidéos qui immergent dans un atelier pédagogique où des enfants dessinent ce que leur inspire la légende des Nibelung, l’introduction muette s’inscrit dans la dimension iniatique du récit de Siegfried, en reprenant, sans doute de manière simplifiée, l’idée de contrepoint cinématographique du projet originel. Le nouveau spectacle, préparé dans une relative urgence, met en avant les éléments siginifiants essentiels de l’histoire, à l’exemple de la lance en néon ou d’une masse informe figurant l’immobilité du dragon Fafner, sans se départir de certains clins d’oeil plus comiques – telle la kitchenette format jouet dans laquelle Mime prépare son brouet –, en synchronie avec la tonalité de ce troisième volet. Dessiné par Michael Simon, le décor s’anime au gré des éclairages contrastés de Valerio Tiberi, qui contribuent, de même que les costumes de Petra Reinhardt, à plonger le spectateur dans l’univers très coloré du conte, avec le souci premier de raconter les péripéties, selon une linéarité illustrative qui ne contrarie pas la musique.

Alain Altinoglu, un grand chef wagnérien

L’essentiel de ce Siegfried demeure sa partie sonore. Dans le rôle-titre, Magnus Vigilius met en valeur un impétieux héroïsme qui n’oublie pas la naïveté un peu gauche du personnage. Peter Hoare condense, avec un art consommé des ressources expressives du timbre, la duplicité trop visible d’un Mime aussi avide d’or et de pouvoir qu’Alberich, dont Scott Hendricks fait résonner la noirceur mordante. Wilhelm Schwinghammer assume les répliques de Fafner, projetées du fond caverneux de l’avare réclusion du dragon. Au léger pépiement de Liv Redpath, figurant la voix de l’oiseau, s’oppose le medium sombre de Nora Gubish, incarnation efficace d’une conscience divine voilée et déroutée par la confusion d’un monde qui lui échappe. En Wanderer, on retrouve le Wotan solide et intelligent de Gabor Bretz, avec une humanité peut-être moins complexe que dans La Walkyrie. Quant à Brunnhilde, Ingela Brimberg en enrichit la palette à l’heure du réveil à l’amour.

Mais la pierre angulaire de la réussite de ce Siegfried reste la direction d’Alain Altinoglu, à la tête de l’Orchestre symphonique de la Monnaie. La vitalité de sa baguette impulse un irrésisible dynamisme des couleurs et des textures sonores qui fait irradier l’élan juvénile et solaire d’une partition aux allures de vaste scherzo. Cette vision très allante, jusque dans la sensualité, confirme que le chef français est – avec, à notre avis, dans une approche moins expansive, Cornelius Meister – l’un des meilleurs interprètes de Wagner aujourd’hui. On attend désormais avec impatience son Crépuscule des dieux en février prochain.

Par Gilles Charlassier

Siegfried, Théâtre de la Monnaie, septembre 2024

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